Utiliser des systèmes de valeurs pour construire les personnages

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Les histoires ont un sens

Parmi les grandes raisons qu’ont les humains d’aimer les histoires, il y a le fait que les histoires donnent du sens au monde, et qu’elles délivrent un message au public, répondant à leur manière aux grandes interrogations existentielles sur la vie, la mort, l’amour, le temps, la loi, la technique, la liberté, la famille, etc.

Pour qu’une histoire nous touche, il faut en effet, à l’évidence, qu’elle parle de ce qui nous concerne.

Pour les auteurs, la définition du sens d’une histoire s’impose donc comme un des préparatifs nécessaires au travail scénaristique : on décide d’abord de ce qu’on veut dire au public, avant de trouver quelles intrigues on va lui raconter pour faire passer ce message.

Ainsi, par exemple :

  • Les romans de Kafka, Le Château et Le Procès, représentent l’idée qu’il n’y a pas de justice dans ce monde, il n’y a que des autorités absurdes, des personnages rocambolesques et incohérents
  • La série Columbo montre que l’intelligence peut vaincre la ruse et que la police peut vaincre le crime
  • La BD Astérix et Obélix montre que le faible peut résister au fort, qu’un village peut résister à un Empire, que l’union et la solidarité font la force
  • Les trois films Le Parrain I, II et III ont tous en commun de porter fondamentalement sur un thème : les rapports entre père et fils, et plus généralement les valeurs de loyauté, de solidarité et de respect qui doivent présider aux rapports familiaux
  • De nombreuses chansons de rap tournent autour du thème de la résilience des laissés-pour-compte, et affirment qu’on peut préserver sa dignité et sa fierté malgré l’adversité de la misère et de la violence
  • Des millions d’histoires d’amour prouvent que l’amour est la chose la plus précieuse du monde, des millions d’autres prouvent qu’il vous mènera à la destruction et à la mort, et toutes s’accordent pour dire que cette passion nous définit

Mais, comment délivrer ces messages efficacement ? Comment, en partant d’une idée générale relevant de l’ordre du discours, peut-on obtenir une narration, une suite d’actions dramatiques ?

La méthode que je vais ici proposer, consiste à construire un système de valeurs plus ou moins complexe, et à en attribuer les éléments à des personnages. Elle s’inspire en partie d’une idée développée par Robert McKee.

Construire un système de valeur

Ce que j’appelle une valeur, c’est un de ces grands principes philosophiques, une de ces grandes idées au nom de laquelle les humains agissent.

On peut en citer des dizaines, même si le nombre en est limité : l’amour, la solidarité, le respect, la dignité, l’amitié, la force, le courage, la beauté, l’innocence, la justice, la paix, l’ordre, la foi, l’honnêteté, la grandeur, la noblesse, etc.

On peut en trouver de plus précises : l’amour envers une personne précise ; la loyauté envers son pays ; la foi en tel Dieu.

Une fois qu’on a déterminé la valeur au cœur de l’histoire qu’on veut élaborer, on peut assez facilement lui trouver une valeur opposée, contraire.

Par exemple :

  • La beauté ≠ la laideur
  • La justice ≠ l’injustice
  • La paix ≠ la guerre
  • L’ordre ≠ le chaos
  • Etc

On obtient donc un conflit de valeurs.

Conflit de valeurs

Attribuer les valeurs aux personnages

Attribuer les valeurs aux personnages principaux

Une histoire raconte une ou plusieurs intrigues, et une intrigue montre un personnage, le Héros, qui essaye d’atteindre un but, et qui est contredit par un autre personnage, l’Antagoniste, qui essaye d’atteindre le but à la place du Héros, ou d’empêcher le Héros d’atteindre le but.

Dès lors, il est facile de comprendre que ce conflit entre personnages doit aussi porter le conflit entre valeurs. On attribue donc une valeur au Héros, la valeur opposée à l’Antagoniste, et ainsi leur conflit se met à exprimer le conflit qui oppose les valeurs qu’ils portent.

Attribuer les valeurs aux personnages secondaires

De même, comme d’ordinaire les personnages principaux ne sont pas seuls au monde, mais entourés d’alliés, on peut également leur attribuer les valeurs – mais, sous des formes moindres, car si les alliés portaient les valeurs centrales et que le Héros et l’Antagoniste n’en portaient que des formes amoindries, on aurait le sentiment que ces alliés sont plus légitimes que le Héros et l’Antagoniste.

Si la valeur centrale est la beauté, alors on peut obtenir un système de personnages comme ceci :

  • Le Héros porte la beauté maximum
  • Les alliés du Héros portent une beauté moindre
  • L’Antagoniste représente la laideur maximum
  • Les alliés de l’Antagoniste représentent une laideur moindre

Pour ne pas attribuer la valeur chaque fois de la même manière à chaque personnage secondaire, on peut varier en dérivant la valeur de manière contrastée.

Ainsi, en prenant l’exemple d’une Héroïne avocate dont le but consisterait à défendre une cause juste, ses alliés pourraient être :

  • Un ancien condamné repenti (donc, le contraire du contraire de la valeur)
  • Un magistrat mis au placard pour des fautes professionnelles (il aime la justice, mais a perdu le droit de la rendre)
  • Une proffe de droit (elle aime la justice, mais l’enseigne sans la pratiquer)

Tandis que ses Antagonistes pourraient être :

  • Un juge rigoriste et étroit d’esprit (il aime la loi plus que la justice)
  • Un avocat moraliste (il aime la morale plus que la justice)
  • Un plaignant malhonnête (il aime son intérêt et se moque de la justice)

Mais, attendez… tout cela n’est-il pas quelque peu simpliste ?

Si, évidemment. Et pourtant, on y reconnait déjà la structure d’histoires faites pour être simplistes, car destinées aux enfants : le Héros est un petit garçon particulièrement bon, ou une petite fille particulièrement belle, qui s’associe à d’autres personnages qui lui ressemblent, en moins bien, et ils s’opposent à un horrible monstre, très méchant et très laid, dont les sbires sont juste un peu moins méchants et laids.

Pour faire une histoire plus subtile, on dispose de plusieurs options.

Utiliser plusieurs valeurs

La première, consiste à définir PLUSIEURS valeurs centrales : par exemple la beauté, ou l’intelligence, mais aussi la bonté, ou l’audace.

Dans ce cas, on va attribuer une des valeurs à tous les personnages, et pas seulement à une des équipes ; tandis qu’on ne va attribuer l’autre valeur qu’à l’une des équipes ou à certains de ses personnages.

Cela peut donner :

  • Une jeune femme, très belle mais peu confiante, s’engage dans le mannequinat et se retrouve victime de mannequins tout aussi belles, mais méprisantes voire cruelles avec elle. Pourtant, par sa bonté, cette jeune femme va réussir à se faire des amies, des alliées, et à faire carrière malgré les mauvais coups de ses rivales.
    • Dans cette intrigue, une des valeurs forme le thème général de l’intrigue – la beauté – et l’autre valeur sert de moyen de trancher moralement entre les camps : la bonté gagnera contre la méchanceté.
  • Ou, un scientifique excentrique est embauché dans une équipe de chercheurs. Ils sont tous très intelligents, mais lui se distingue par son audace intellectuelle, sa capacité à penser « out of the box« . A force d’audace donc, parti d’une position de challenger, il finira par convaincre leurs supérieurs d’être nommé à la tête de l’équipe de chercheurs, évinçant un rival moins novateur, et à trouver une innovation décisive.
    • Dans cette intrigue, la valeur intelligence est communément partagée, mais la valeur audace fait la différence.

Utiliser des valeurs différentes mais pas opposées

La seconde manière d’obtenir un conflit de valeurs plus subtil, consiste à ne pas choisir l’antonyme le plus évident comme valeur opposée.

Ainsi, la beauté n’a pas forcément pour contraire la laideur. On peut tout aussi bien lui opposer la « beauté intérieure », ou la noblesse d’âme, ou l’élégance, ou l’humour.

On peut donc fabriquer un conflit beauté physique Vs beauté d’âme, ou beauté Vs élégance.

Par exemple :

  • Deux hommes A et B rivalisent pour l’amour d’un autre homme, C. A est très beau, mais sans grâce. B n’est pas très beau, mais très élégant. Après une longue hésitation, C finit par préférer B.
    • Donc, l’élégance finit par primer sur la pure beauté.

Placer le conflit de valeurs au cœur des personnages

Une troisième option consiste à placer un conflit de valeurs au cœur même des personnages, de préférence les personnages principaux : ainsi un Héros peut être partagé entre le crime et la rédemption, ou entre l’amour et la haine, ou entre la loyauté et la trahison.

Pour finir, on peut bâtir une gamme encore plus contrastée de valeurs, en en utilisant par exemple 3 groupes nuancés :

  • Un groupe de formes de beauté physique contrastées (beauté standard, beauté androgyne, beauté mûre, beauté anticonformiste…)
  • Un groupe d’autres formes de beauté physique contrastées (élégance, charme, sensualité…)
  • Un groupe de formes de beauté non-physiques (âme artiste, grandeur d’âme, gentillesse, bonté…)

En distribuant ces valeurs à une variété de personnages, on obtiendra des effets cohérents de contraste et d’harmonie, de conflit et d’entente.

Voilà quelques unes des choses qu’on peut faire avec des valeurs.

Dans une histoire complexe faite de nombreuses intrigues, on peut donc délivrer un message complexe et subtil à l’aide des systèmes de valeurs.

Vous voulez en savoir plus ? Ces conflits de valeurs peuvent aussi servir à construire des intrigues !

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