Le guide du scénariste, de Christopher Vogler

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Genèse du guide du scénariste, de Christopher Vogler

Sous-titré « La force d’inspiration des mythes pour l’écriture cinématographique et romanesque« , Le guide du scénariste de Christopher Vogler se présente comme une sorte de recette universelle pour générer des scénarios d’histoires.

Scénariste pour Hollywood, Christopher Vogler raconte avoir été fortement inspiré par la lecture du livre de Joseph Campbell, Le Héros aux mille visages (The Hero With a Thousand Faces).

Christopher Vogler en fit une sorte de résumé pour ses collègues, qu’il intitula « Le guide pratique du Héros aux mille visages« , et ce texte, apprécié dans le milieu des scénaristes, fut étoffé, développé, et devint Le guide du scénariste.

Contenu du guide du scénariste

Le guide du scénariste se compose de deux grandes parties.

Le Livre 1, « La Carte du Voyage« , commence par reprendre « Le guide pratique du Héros aux mille visages » où il expose brièvement ce qu’il appelle le Voyage du Héros : un parcours standardisé fait de 12 étapes.

Puis, dans la partie « Les archétypes« , il expose les 7 types de personnages censés intervenir au cours des diverses étapes du Voyage du Héros :

  • le Héros
  • le Mentor
  • le Gardien du seuil
  • le Messager
  • le Personnage protéiforme
  • l’Ombre
  • le Trickster

Le Livre 2, « Les Etapes du Voyage« , reprend en détail les 12 étapes du Voyage du Héros :

  1. Le Monde ordinaire et le Monde extraordinaire
  2. L’Appel de l’Aventure
  3. Le Refus de l’Appel
  4. La Rencontre avec le Mentor
  5. Le Passage du Premier Seuil
  6. Les Tests, les Alliés, les Ennemis
  7. Le Cœur de la Caverne
  8. L’Epreuve Suprême
  9. La Récompense (la Prise de l’Epée)
  10. Le Chemin du Retour
  11. La Résurrection
  12. L’Elixir

Heroesjourney

Critique

Une théorie aussi fausse que dogmatique ?

Le Guide du scénariste a, comme d’autres ouvrages du genre, un côté franchement inspirant : en donnant une recette toute faite, avec une intrigue standardisée, présentée comme universellement valide, et une gamme de personnages « archétypiques », il épargne bien des errements et promet de garantir le succès.

Une promesse pourtant bien difficile à tenir, car… mettez la théorie à l’épreuve : prenez quelques œuvres narratives, et tentez d’y reconnaitre les 12 étapes du Voyage du Héros, ou les 7 types de personnages : est-ce que cela fonctionne ?

Ma réponse est claire et nette : absolument pas. C’est même totalement faux, inadapté, incohérent. On ne peut absolument pas résumer la totalité des œuvres narratives, à un seul schéma de l’intrigue et des personnages. (Story de McKee n’y réussirait pas mieux.)

On a au fond l’impression que Christopher Vogler, bien que professionnel d’Hollywood, ne comprend pas vraiment ce qu’est une histoire : il est pourtant assez facile de démontrer qu’une histoire est la plupart du temps faite de PLUSIEURS intrigues, qu’on ne peut donc pas réduire à un seul et même Voyage du Héros.

Mes analyses ont ainsi montré que Pulp Fiction raconte 10 intrigues, et que le clip de Thriller de Michael Jackson en raconte 7. Si on essaye d’appliquer la théorie de Christopher Vogler à ces deux exemples, est-ce à dire que Pulp Fiction raconte 10 fois le même Voyage du Héros, et Thriller 7 fois ? Ou, doit-on ignorer la pluralité des intrigues, pour analyser l’œuvre entière comme étant un Voyage ? Essayez : ça ne marche pas non plus, c’est totalement inapplicable.

Dans ce Guide du scénariste d’ailleurs, il ne sera absolument jamais question de montage d’intrigues…

En fait Christopher Vogler semble ne tenir aucun compte du fait que la narration est une sorte de physique qui repose sur des atomes. Un atome narratif, c’est un personnage qui fait une action. La célèbre blague « paf le chien » raconte une intrigue atomique, réduite à une simple action : c’est l’histoire d’un chien qui s’appelle Paf, il traverse la rue et Paf, le chien. Comment pourrait-on traduire ça dans les 12 étapes obligatoires du dogmatique Voyage de Vogler ? Paf le chien n’aura jamais à refuser l’aventure, ni à rencontrer le Mentor, ni à passer le premier seuil, etc, il sera mort bien avant.

Il en va de même concernant les personnages : ces « archétypes » que présente Vogler, sont en fait un mélange, ou même une confusion, entre deux aspects du personnage que j’ai distingué dans mes cours de scénario : le rôle actantiel (c’est-à-dire la fonction que prend un personnage donné dans un système de personnages liés au but et au conflit central d’une intrigue donnée), et le rôle thématique (c’est à dire ce qui fait l’identité de ce personnage, indépendamment de son rôle actantiel : son aspect, sa profession, sa psychologie etc).

Une telle confusion sonne franchement amateur… on ne devrait pas mettre le Héros (rôle actantiel) et le Trickster (un type de personnage rusé, facétieux, ludique) sur le même plan, car ces deux notions ne sont en réalité pas du tout de la même nature.

Par cette confusion, Vogler semble affirmer qu’un personnage aurait un et un seul type, ce qui une fois encore est facile à réfuter.

Ainsi, j’ai montré que dans le film Le Parrain, un même personnage peut avoir des rôles actantiels très différents. Prenons l’exemple de Michael Corleone : dans telle intrigue, il est le Héros (par exemple, quand il va tuer un mafieux et un flic corrompu qui ont tenté de tuer son père), dans d’autres intrigues il peut être Mentor, ou Antagoniste, ou n’avoir aucun rôle. Il est donc impossible de réduire le personnage de Michael à l’un des 7 archétypes de Vogler – ce concept s’avère donc également inapplicable ou tout simplement faux. Un comble pour l’auteur du Guide du scénariste, qu’on pourrait donc ironiquement renommer « Manuel pour vous induire en erreur par des généralisations abusives et une incompréhension fondamentale des concepts de base de la narration » ; mais ce titre serait trop long et moins vendeur.

Une théorie néanmoins stimulante ?

Admettons donc que le Guide du scénariste de Christopher Vogler ne soit pas la voie royale universelle du scénario qu’il prétend être.

Doit-on pour autant n’en tenir aucun compte ?

Il semble que cette théorie soit néanmoins utilisable pour générer des histoires – pour peu qu’on ne la prenne pas trop au pied de la lettre.

D’abord, il est certains genres pour lesquels l’intrigue-type du Voyage peut s’avérer un candidat intéressant pour faire une trame d’intrigue principale : le fantastique, l’heroic fantasy, le roman d’aventures, le conte merveilleux. Pour faire une comédie, une tragédie, un thriller, vous avez probablement sonné à la mauvaise porte.

Car en réalité, les étapes du Voyage tout comme la liste des archétypes de personnages proviennent d’un vieux fonds folklorique (et pas mythique comme le prétend à tort le sous-titre), principalement européen – ce que trahissent les termes employés : aventure, appel, caverne, épée, élixir, personnage protéiforme, trickster.

La parenté entre ces concepts, et même la démarche générale, et ceux de la Morphologie du conte de Vladimir Propp, sautent aux yeux – le Guide du scénariste en est une sorte de remake hollywoodien, une version Disney, moins scientifique, plus inculte, plus commerciale et plus pratique.

Ensuite, les étapes du Voyage ainsi que les archétypes des personnages, peuvent servir à générer des œuvres qui n’auraient plus rien en commun avec leur source d’inspiration folklorique.

Ainsi, rien n’empêche d’appliquer la grille de Vogler et Campbell, à des genres, à des thèmes, à des mondes ni merveilleux ni folkloriques.

Par exemple, imaginons de l’utiliser avec les ingrédients de la série The Wire : des dealers de drogue, la misère des afro-americains, le ghetto, la police, la violence de la rue, un monde hyper-réaliste. Cela pourrait donner un résultat intéressant.

Conclusion

Le Guide du scénariste de Christopher Vogler porte mal son nom : il ne s’agit en aucun cas d’un manuel de narratologie destiné à n’importe quel scénariste dans n’importe quel genre, média ou format.

La théorie de Vogler, rigide et la plupart du temps inapplicable, pourra néanmoins vous servir à concevoir les rares types d’histoire conformes à son modèle.

Néanmoins, pour les auteur-e-s peu expérimentée-e-s, le modèle de Christopher Vogler peut s’avérer intéressant à suivre, au moins pour s’habituer à l’idée qu’on écrit presque toujours mieux quand on a en tête un plan d’intrigue et une gamme de personnages cohérents.

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2 réflexions sur “Le guide du scénariste, de Christopher Vogler”

  1. Bonsoir à vous,
    je viens de lire votre article sur le travail de Christopher Vogler. Pourrais-je vous demander qui est plus intéressant que lui pour un auteur de roman d’aventure qui voudrait scénariser son livre pour le cinéma ?

    Bien enchantée
    Léonie

  2. Bonjour Léonie.
    En effet je pense que Vogler et Campbell prêchent des idées fausses et en tout cas non-vérifiées, ça ressemble un peu à la théorie psychanalytique du complexe d’Oedipe ou aux théories racistes d’ailleurs, qu’aucun fait n’étaye.
    Pourtant les idées de ces deux-là s’appliquent le mieux à votre genre, le roman d’aventure.
    Perso je préfère la vraie théorie narratologique scientifique : celle des structuralistes, Souriau et Greimas, qui cherchent à comprendre et analyser la narration de manière vraiment universelle, en en découvrant les structures.
    Aussi, je vous conseille de lire Story de McKee (https://fr.storyanddrama.com/story-de-robert-mckee/). Je ne l’aime pas trop non plus mais il a son utilité.
    Et surtout je vous recommande… mes cours 🙂 J’ai repris et simplifié la narratologie structuraliste. Et j’ai appliqué ces concepts dans toutes mes analyses, confirmant que ça s’applique à tout et n’importe quoi, indépendamment du média ou du genre.

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