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Dr Dre ft Snoop Dogg – Still D.R.E. – Traduction et explication des paroles
Dr. Dre - Still D.R.E. ft. Snoop Dogg
Toujours D.R.E.Ou : Tranquille D.R.E
Intro – Snoop Dogg
Yeah nigga
Ouais négro
I’m still fucking with ya
Chuis encore venu te faire chier
Still waters run deep
Il faut se méfier de l’eau qui dort
Still Snoop Dogg and D-R-E, ‘99 nigga
Encore Snoop Dog et D-R-E 99 négro
Guess who’s back
Devine qui c’est
Still doing that shit huh Dre?
Tu fais toujours ton truc Dre ?
(Oh for sho’, check me out)
(Oh bien sûr, regarde ça)
Couplet 1 – Dr Dre
It’s still Dre Day nigga, AK nigga
C’est toujours le Jour de Dre négro, AK négro
Though I’ve grown a lot, can’t keep it home a lot
Même si j’ai bien évolué, je peux pas rester chez moi très longtemps
‘Cause when I frequent the spots that I’m known to rock
Passke quand je fréquente les coins où je suis connu pour tout déchirer
You hear the bass from the truck when I’m on the block
T’entends la basse depuis mon van quand je rôde autour du bloc
Ladies they pay homage, but haters say Dre fell off
Les demoiselles rendent hommage, mais les haters disent que Dre a chuté
How nigga? my last album was The Chronic (Nigga)
Comment ça négro ? Mon dernier album c’était La Chronique (négro)
They want to know if he still got it
Ils veulent savoir s’il est toujours inspiré
They say rap’s changed
Ils disent que le rap a changé
They wanna know how I feel about it
Ils veulent savoir comment je le ressens
(Snoop Dogg : If you ain’t up on thangs)
(Si t’es pas au courant)
Dr. Dre is the name
Dr Dre est le nom
I’m ahead of my game
Chuis au top de mon jeu
Still puffing my leaves
Fumant toujours mes feuilles
Still fuck with the beats, still not loving police
Torturant toujours les beats, n’aimant toujours pas les flics
Still rock my khakis with a cuff and a crease
Remuant toujours mon futal beige à revers et à pli
Still got love for the streets, reppin’ 213 (For life)
Toujours fidèle aux rues, représentant le 213
Still the beats bang, still doing my thang
Toujours les beats claquent, je fais toujours mon truc
Since I left ain’t too much changed, still
Depuis que je suis parti rien n’a changé
Refrain – Snoop Dogg + Dr Dre
Snoop Dogg : I’m representing for them gangstas all across the world
Je représente pour eux les gangstas du monde entier
Snoop Dogg : Still hitting them corners in them lo-lo’s, girl
Frappant toujours les coins dans leur lo-lo, fillette
Dr Dre : Still taking my time to perfect the beat
Prenant toujours mon temps pour parfaire le beat
Dr Dre : And I still got love for the streets, it’s the D-R-E
Et j’ai toujours de l’amour pour les rues, c’est le D-R-E
Couplet 2 – Dr Dre
Since the last time you heard from me I lost some friends
Depuis la dernière fois que t’as entendu parler de moi j’ai perdu des amis
Well, hell, me and Snoop, we dippin’ again
Merde, putain, moi et Snoop on se remet à la colle
Kept my ear to the streets, signed Eminem
J’ai laissé mon oreille traîner dans les rues, signé Eminem
He’s triple platinum, doing 50 a week
Il est triple platine, se fait 50 par semaine
Still, I stay close to the heat
Et pourtant, comme toujours, je reste près de là où c’est chaud
And even when I was close to defeat, I rose to my feet
Et même quand j’étais proche de la défaite, je me suis remis sur pieds
My life’s like a soundtrack I wrote to the beat
Ma vie est comme une piste que j’ai écrite en rythme
Treat rap like Cali weed, I smoke ‘til I sleep
Je traite le rap comme la beuh de Cali, je fume jusqu’à ce que je dorme
Wake up in the A.M., compose a beat
Je me lève de bon matin, compose un beat
I bring the fire til you’re soaking in your seat
J’attise le feu jusqu’à ce que tu mijotes sur ton siège
It’s not a fluke, it’s been tried, I’m the truth
C’est pas un hasard, c’est testé, je suis la vérité
Since Turn Out the Lights from the World Class Wreckin Cru
Depuis Eteins les lumières jusqu’à World Class Wreckin Cru
I’m still at it, after-mathematics
J’y suis toujours, after-mathematics
In the home of drive-bys and ak-matics
Au pays des drive-bys et des AK automatiques
Swap meets, sticky green, and bad traffic
Marchés aux puces, résineux, et mauvais traffic
I dip through then I get skin, D-R-E
Je plonge dedans ensuite j’ai la peau (????), D-R-E
Refrain – Snoop Dogg + Dr Dre
Couplet 3 – Dr Dre
It ain’t nothing but more hot shit
C’est rien qu’un peu plus de merde fumante
Another classic CD for y’all to vibe with
Un autre CD classique pour vous tous vibrer dessus
Whether you’re cooling on the corner with your fly bitch
Que tu prennes l’air au coin de ta rue avec ta garce cool
Laid back in the shack, play this track
Couchés en plein rencard, joue cette piste
I’m representing for the gangstas all across the world
Still (Hitting them corners on the lo-lo’s girl)
I’ll break your neck, damn near put your face in your lap
Je te briserai le cou, si tu t’approches protège ta face entre tes genoux
Niggas try to be the king but the ace is back
(So if you ain’t up on thangs)Les négros veulent êtres rois, mais l’as est de retour
Dr. Dre be the name still running the game
Que Dr Dre soit le nom, règnant toujours sur le jeu
Still, got it wrapped like a mummy
Toujours, bien enveloppé comme une momie
Still ain’t tripping, love to see young blacks get money
Toujours sérieux dans mes affaires, j’adore voir de jeunes noirs faire du blé
Spend time out the hood, take they moms out the hood
Sortir du quartier, sortir leurs daronnes du quartier
Hit my boys off with jobs, no more living hard
Filer des jobs à mes jeunes, fini la vie dure
Barbeques every day, driving fancy cars
Barbecues tous les jours, conduisant des bagnoles stylées
Still gon’ get mine regardless
Je prendrai toujours mon dû quoiqu’il arrive
Refrain – Snoop Dogg + Dr Dre
Outro – Snoop Dogg
Right back up in ya mothafuckin’ ass, 9-5 plus four pennies!
Tout droit de retour dans ton cul de filsdep’, 9-5 plus 4 centimes !
Add that shit up, D-R-E right back up on top of thangs
Ajoute ce truc, D-R-E de retour au top de choses
Smoke some with your dog, no stress, no seeds, no stems, no sticks!
Fumes-en avec ton chien, pas de mauvaise came, pas de graines, pas de tiges, pas de branches !
Some of that real sticky icky icky, ooh wee!
De la bonne qui colle bien, oh oui !
Put it in the air, oh, you’s a fool DR
Élève-la dans les airs, oh, t’es un ouf DR
Dr Dre feat Snoop Dogg – Still D.R.E. (1999) – Explication des paroles
Intro – Snoop Dogg
Yeah nigga
Ouais négro
nigga : ce terme est devenu un marqueur de genre. Il n’y a que dans le hip-hop qu’on se désigne comme ça, en reprenant avec connivence une insulte raciste. C’est aussi devenu un tic d’écriture, avec le temps. Un enjeu profond consiste à dévitaliser le terme de tout contenu hostile, de sorte que “nigga” veuille finalement dire “man”.
I’m still fucking with ya
Chuis encore venu te faire chier
1ère occurrence du mot “still”, introduisant le titre, refrain et thème de la chanson.
Still waters run deep
Il faut se méfier de l’eau qui dort
Still waters run deep, les eaux calmes vont profond, est un proverbe.
2ème occurrence du mot “still”.
Still Snoop Dogg and D-R-E, ‘99 nigga
Encore Snoop Dog et D-R-E 99 négro
3ème occurrence du mot “still”.
Guess who’s back
Devine qui c’est
Cette question est posée par Snoop à Dre, mais on comprend qu’elle est aussi posée par Snoop et Dre au public.
Still doing that shit huh Dre?
Tu fais toujours ton truc Dre ?
4ème occurrence du mot “still”.
(Oh for sho’, check me out)
(Oh bien sûr, regarde ça)
Maintenant, c’est Dre le rappeur principal, introduit par Snoop. Dans les chansons de N.W.A., Dre avait justement ce rôle de présentateur, que prend déjà Snoop dans THE NEXT EPISODE.
Couplet 1 – Dr Dre
It’s still Dre Day nigga, AK nigga
C’est toujours le Jour de Dre négro, AK négro
DRE DAY : chanson diffamatoire (diss-song) écrite par Dre contre Eazy-E, auquel Eazy avait répondu par REAL MUTHAPHUCKKIN G’S.
AK : c’est la Kalashnikov automatique qui est devenue mythique dans le rap, et c’est aussi un marqueur de genre qui sonne “authentique”. (Pourtant, ça coûte pas cher pour un rappeur en carton de se payer des kalash en rafales, genre regardez, moi j’en ai quatre : AK-AK-AK-AK. ça n’empêchera pas Booba d’en faire le titre d’un de ses tubes.)
Though I’ve grown a lot, can’t keep it home a lot
Même si j’ai bien évolué, je peux pas rester chez moi très longtemps
I’ve grown a lot : starisé depuis 1988, Dr Dre a accumulé du vécu dans ces années 1988-1989, il a connu des hauts et des bas, de grands succès, et aussi quelques tragédies comme la mort d’amis et de collègues, il en reparlera plus loin.
can’t keep it home a lot : l’expression semble polysémique, grâce au “it” qui peut désigner :
- le Dre Day, qui a un double sens, c’est le jour d’honneur de Dre, et un jour de cauchemar pour ses ennemis : ce jour, Dre ne peut pas le garder pour lui tout seul
- l’AK qui vient d’être cité : Dre ne va pas le garder chez lui, c’est fait pour servir…
- ou encore, le “it” désigne plutôt un sentiment qui n’a pas été nommé, mais qui est dans l’air, et que le chanteur passe sous silence par pudeur : ça pourrait être sa douleur et son chagrin, et aussi sa fierté, de venir de ce monde violent et d’avoir réussi : ça, Dr Dre ne va pas le garder pour lui, il va le partager – dans ce morceau.
’Cause when I frequent the spots that I’m known to rock
Passke quand je fréquente les coins où je suis connu pour tout déchirer
Ce vers enchaîne logiquement : vu qu’il peut pas rester chez lui, il sort, il fréquente des coins. Ce mouvement est cohérent avec le thème de la chanson : c’est Dr Dre qui parle de lui-même, qui se montre, qui s’affirme. Donc symboliquement, il sort de chez lui, de sa conscience, pour se montrer, et puisqu’il est musicien, c’est par la musique qu’il se montre.
You hear the bass from the truck when I’m on the block
T’entends la basse depuis mon van quand je rôde autour du bloc
Ce vers n’a pas vraiment un double sens, mais plutôt il joue deux fois : il continue simplement cette scène où Dre est sorti de chez lui faire écouter sa musique, on est donc dans une scène fictive à valeur symbolique, mais par ailleurs, plus concrètement cette phrase prend un sens dans le contexte de son audition par le public, puisque dès qu’on entend cette chanson, on entend la basse. Si le public écoute ça depuis une voiture dans un ghetto, l’effet est encore plus réaliste.
when I’m on the block : l’expression est connotée, ces “blocks” peuvent désigner les grands immeubles pleins de pauvres de type HLM, un type d’habitat que Dr Dre a en réalité quitté depuis longtemps, mais l’expression américaine “to be on the block” signifie “être à vendre”, souvent aux enchères. Donc, tu entends sa basse quand il visite ton quartier de merde, ou quand il vend ses albums.
Ladies they pay homage, but haters say Dre fell off
Les demoiselles rendent hommage, mais les haters disent que Dre a chuté
Il donne une certaine image des réactions de son public : les demoiselles lui rendraient hommage – vantardise macho – mais il aurait des ennemis qui le calomnieraient – peut-être par jalousie.
How nigga? my last album was The Chronic (Nigga)
Comment ça négro ? Mon dernier album c’était La Chronique (négro)
nigga : ces haters sont donc des nigga. Peut-être des rivaux du milieu du rap ?
THE CHRONIC : album de Dr Dre de 1992, best-seller du rap.
Dr Dre se sert du prestige de cet album légendaire comme argument d’autorité, tout en reconnaissant implicitement qu’il n’en a pas sorti d’autre depuis.
They want to know if he still got it
Ils veulent savoir s’il est toujours inspiré
They : on ne sait pas qui c’est au juste – sans doute les haters, ou plus généralement tous ceux qui ne l’aimeraient pas.
They say rap’s changed
Ils disent que le rap a changé
On ne sait pas trop ce qu’”ils” veulent dire, en affirmant que le rap a changé : en bien, en mal ? Sont-ils satisfaits de ces changements, ou sceptiques ?
They wanna know how I feel about it
Ils veulent savoir comment je le ressens
C’est une manière de faire remarquer : c’est MOI qu’ils consultent à ce sujet, c’est MOI qu’ils considèrent comme une autorité dont l’avis importe. C’est habile de la part de Dre, de mettre un tel compliment dans la bouche de ses détracteurs.
(Snoop Dogg : If you ain’t up on thangs)
(Si t’es pas au courant)
Cette intervention ironique de Snoop Dogg fait peut-être discrètement allusion au tube de Dre, NUTHIN BUT A G-THANG.
Dr. Dre is the name
Dr Dre est le nom
Allusion à des paroles de Snoop Dog : ”If you ain’t up on Thangs, Snoop Dogg is the name, Dogg Pound’s the game”)
Ce vers répond aux inquiétudes précédentes. Avant, Dre résumait le scepticisme de ses ennemis. Après, il n’écoute plus, il s’affirme comme le roi du rap, le voilà son avis !
I’m ahead of my game
Chuis au top de mon jeu
The game, c’est ainsi qu’on désigne le monde du rap et ses enjeux, comme si c’était un jeu auquel les artistes veulent gagner. Ici ce n’est même pas le game, c’est le game de Dre, pas touche !
Still puffing my leaves
Fumant toujours mes feuilles
On devine qu’il ne fume pas que des marronniers. Il fume des feuilles qui font pouffer.
Still fuck with the beats, still not loving police
Torturant toujours les beats, n’aimant toujours pas les flics
C’est joli comme expression pour dire qu’on fait de la musique, “baiser avec les rythmes”.
Not loving police : allusion au tube de N.W.A. FUCK THA POLICE.
Still rock my khakis with a cuff and a crease
Remuant toujours mon futal beige à revers et à pli
Ces “khakis” sont mentionnés dans d’innombrables paroles de rap américain. C’est le vêtement de pauvre que diffusait l’industrie textile américaine dans les années 80.
Still got love for the streets, reppin’ 213 (For life)
Toujours fidèle aux rues, représentant le 213
213 : code postal d’une bonne partie du comté de L.A., et nom du groupe 213 formé par Nate Dogg, Warren G et Snoop Dogg.
Still got love for the streets : allusion au tube de Dr Dre et Tupac, CALIFORNIA LOVE, où ils envoyaient de l’amour à toute la Californie.
Still the beats bang, still doing my thang
Toujours les beats claquent, je fais toujours mon truc
Still doing my thang : allusion au tube de Dre, NUTHIN BUT A G-THANG.
Since I left ain’t too much changed, still
Depuis que je suis parti rien n’a changé
Ce vers confirme que tout ce qui précède était la réponse à “they say rap changed, they want to know how I feel about it” : Dre conclut que non, rien n’a changé, puisqu’il est toujours au sommet de son art. C’est une réponse volontairement fière et arrogante !
Refrain – Snoop Dogg + Dr Dre
Snoop Dogg : I’m representing for them gangstas all across the world
Je représente pour eux les gangstas du monde entier
Ce refrain très clair marque la volonté des auteurs de surfer sur la vague du gangsta-rap et d’être reconnus comme les rois du genre. Pour gagner cette place, il suffit de la prendre !
Snoop Dogg : Still hitting them corners in them lo-lo’s, girl
Frappant toujours les coins dans leur lo-lo, fillette
Corners : les coins de rue aux USA sont aussi des coins de deal.
Lo-lo : des voitures low-riders, modifiées pour rebondir – comme les voitures dans le clip de STILL D-R-E !
Le vers signifie donc : frappant toujours les coins de rue dans leur voiture fantaisie.
Dr Dre : Still taking my time to perfect the beat
Prenant toujours mon temps pour parfaire le beat
Dre reprend sur le thème précédent de son excellence artistique, et se revendique beat-maker, ce qui est vrai, c’est connu pour être sa spécialité dans ses collaborations, plus que ses performances vocales ou ses textes, qui sont corrects mais ne sont pas les meilleurs.
L’histoire depuis 1999 a montré que Dre prenait vraiment son temps pour parfaire ses rythmes. De 1988 au moment de l’écriture de ce livre en 2018, Dre n’a publié que 3 albums. Par contre, il a collaboré à des dizaines d’albums à succès d’autres auteurs, en tant que producteur et musicien, parfois aussi chanteur.
Dr Dre : And I still got love for the streets, it’s the D-R-E
Et j’ai toujours de l’amour pour les rues, c’est le D-R-E
Ce vers confirme le tournant pris avec CALIFORNIA LOVE, d’envoyer de l’amour, notamment au ghetto, plutôt que de la haine. N.W.A., c’était la haine du ghetto exprimée à la face du monde blanc. Mais CALIFORNIA LOVE, c’était l’amour des rappeurs riches envers leurs origines, la Californie et la vie. Dre est resté sur cette deuxième voie, plus hédoniste, plus optimiste, plus heureuse (et il a bien fait, puisqu’il a survécu et volé de succès en succès).
Couplet 2 – Dr Dre
Since the last time you heard from me I lost some friends
Depuis la dernière fois que t’as entendu parler de moi j’ai perdu des amis
C’est le deuxième couplet solo de Dre, et il chantera aussi le troisième. Cela confirme qu’il s’agit d’une chanson personnelle, où le thème est l’auteur lui-même. On retrouve la même logique de “l’oeuvre est la signature” que dans les graffitis verbaux de Snoop Dogg dans THE NEXT EPISODE.
I lost some friends : cette phrase est tragiquement et doublement vraie. Dr Dre a perdu :
D’anciens amis et collaborateurs ou collègues, comme Eazy (du SIDA), Ice Cube (qui a quitté N.W.A. très énervé suite à des conflits d’argent), Tupac et Notorious B.I.G. (assassinés) ou encore Suge Knight (Dre a fini par quitter leur label Death Row, avant que Suge Knight soit condamné à 9 ans de prison). Cette hécatombe des stars du rap a probablement mis pas mal de monde en crise dans les milieux hip-hop, entraînant une prise de conscience collective, leurs amis, leurs fans, se sont demandé quel sens avaient ces morts précoces.
Et probablement aussi des jaloux, des envieux, des radicaux en désaccord avec ses choix artistiques (cambrioler la musique mainstream, devenir riche en vendant le rap).
Well, hell, me and Snoop, we dippin’ again
Merde, putain, moi et Snoop on se remet à la colle
Joli jeu de sonorités avec les répétitions well, hell puis again, 3 mots qui riment sur 10 syllabes, et me et we, qui riment aussi. ça fait que la moitié des syllabes du vers sont des échos les uns des autres, et c’est agréable à entendre.
Il vient de signaler qu’il a perdu des amis : par ce vers, il montre qu’il a su s’en trouver des nouveaux, et pas n’importe qui.
Kept my ear to the streets, signed Eminem
J’ai laissé mon oreille traîner dans les rues, signé Eminem
Par là, il se montre cohérent avec son propos dans le refrain : il a de l’amour pour les rues, il les écoute, il promeut leur musique.
Eminem : voilà, un de ces nouveaux amis, qui émerge grâce à lui justement en 1999 après 1 an de collaboration sur THE SLIM SHADY LP.
He’s triple platinum, doing 50 a week
Il est triple platine, se fait 50 par semaine
He’s triple platinum : déjà, notez le caractère affirmatif de ces mots, il EST, formulation essentialiste qui fait comme si Eminem était totalement décrit en tant qu’être par l’expression “triple platinum”. C’est fait pour sonner fort.
Triple platinum : dans l’industrie du disque et aux Etats-Unis, un disque de platine certifie la vente d’1 million d’albums – ce qui vaut deux disques d’or. Triple platine, c’est trois millions.
Doing 50 a week : on ne peut pas tellement deviner quelle est l’unité de ce chiffre, 50 quoi ? 50 mille, 50 millions, de dollars ou de ventes, les chiffres font juste rêver, il ne nous les donne pas, il frime en gardant ses infos confidentielles.
Still, I stay close to the heat
Et pourtant, comme toujours, je reste près de là où c’est chaud
Donc, on décode : il ne se laisse pas éloigner de la chaleur par le succès, et la chaleur c’est celle des rues.
And even when I was close to defeat, I rose to my feet
Et même quand j’étais proche de la défaite, je me suis remis sur pieds
Cet aveu de faiblesse est touchant dans la bouche d’un macho arrogant et fier de lui.
On ne sait pas quelle partie de la vie de Dre cela évoque, lui seul le sait, il se dévoile donc tout en conservant sa pudeur, il ne donne aucun détail précis sur ces moments où il a pu être proche de la défaite. Peut-être ceux où il a perdu ses amis, Eazy-E, Tupac ?
My life’s like a soundtrack I wrote to the beat
Ma vie est comme une piste que j’ai écrite en rythme
Belle comparaison, stylée et appropriée.
Dre continue de se caractériser comme beatmaker, il va encore le redire dans deux vers.
Treat rap like Cali weed, I smoke ‘til I sleep
Je traite le rap comme la beuh de Cali, je fume jusqu’à ce que je dorme
Encore une jolie métaphore : il fume le rap comme de la beuh jusqu’à ce qu’il dorme, et fumer, en anglais comme en français, a le double sens de fumer du tabac, ou fumer qu’lqu’un, le tuer. Donc, en fumant sa beuh à longueur de journée il fait aussi du rap qui tue, voilà ce qu’il veut dire.
Comparez avec ce qu’on aurait pu écrire pour donner exactement la même information : “Je fume du cannabis du matin au soir. Je fais du rap du matin au soir”. On remarque que c’est beaucoup mieux formulé sous forme de métaphore drôle et vivante ! Donc, quand vous voyez des vers super chiants écrits très platement comme ce que je viens d’écrire, pensez à les remplacer par des métaphores malines, compactes, intenses, spectaculaires. C’est pas grave si vous n’avez pas grand-chose à dire, tout est dans le style !
Wake up in the A.M., compose a beat
Je me lève de bon matin, compose un beat
L’évocation précédente du style de vie de Dre se poursuit sur un mode narratif. C’est assez rare pour être remarqué : en général les paroles de rap affirment tout un tas de choses, et enchaînent par des liens plus ou moins logiques, sur un mode discursif.
Ce micro-récit illustre le fait que Dre est un vrai musicien professionnel, totalement impliqué dans son art.
Il y a une provocation implicite dans le fait qu’il affirme à la fois être un fumeur quotidien de cannabis, et un travailleur. Cette double affirmation contredit les clichés répressifs du grand-public ignare, pour qui fumeur = branleur, alors même que ce grand-public adore et estime les œuvres de nombreux artistes drogués. On peut être fumeur et se lever de bonne heure pour bien bosser. Et si ça te plaît pas, c’est pareil, flic.
I bring the fire til you’re soaking in your seat
J’attise le feu jusqu’à ce que tu mijotes sur ton siège
I bring the fire se traduit littéralement par “j’apporte le feu”, ce qui fait penser à la fois au vieux mythe grec de Prométhée qui apporta le feu à l’humanité, ou de manière moins noble à un criminel pyromane, comme lors des émeutes de L.A. où de nombreux magasins et voitures furent brûlés, ou encore au fait que Dre, fumeur, allume des joints à longueur de journée.
Les deux vers veulent dire : ”je fais de la musique chez moi et ça arrive très vite vers toi, public, direct du producteur au consommateur”, et aussi ”la musique est comme de la cuisine, je suis le cuisinier et toi public tu es le plat cuisiné”.
It’s not a fluke, it’s been tried, I’m the truth
C’est pas un hasard, c’est testé, je suis la vérité
Nouvelle affirmation de suprématie arrogante, faite pour s’imposer.
Since Turn Out the Lights from the World Class Wreckin Cru
Depuis Eteins les lumières jusqu’à World Class Wreckin Cru
Turn out The Lights : chanson de World Class Wrecking Cru.
World Class Wreckin Cru : c’est le nom du premier groupe auquel ait appartenu Dre, celui sur lequel Dre a un style féminin sur la pochette d’album, qui a fait jaser Eazy-E.
En mentionnant ce groupe d’avant son engagement dans le rap, Dr Dre assume un héritage artistique dont d’autres rappeurs comme Eazy-E se sont moqués, le traitant notamment de gay.
I’m still at it, after-mathematics
J’y suis toujours, after-mathematics
Allusion à Aftermath, le label de Dre, après son départ de son label Death Row.
Le vers signifie donc : c’est mathématique, c’est logique, j’y suis toujours parce que c’est ma nature – et par ailleurs je vous présente mon nouveau label Aftermath 🙂 celui qui produit la nouvelle star rap du moment, Eminem – c’est donc aussi un clin d’oeil aux commerciaux du monde de la musique, qu’ils sachent qui demander s’ils veulent du bon rap…
In the home of drive-bys and ak-matics
Au pays des drive-bys et des AK automatiques
Ce “home”, c’est le “home” de Dr Dre, la Californie, et par extension les Etats-Unis, civilisation des voitures et des armes en vente libre.
Swap meets, sticky green, and bad traffic
Marchés aux puces, résineux, et mauvais traffic
Ces marchés aux puces sont un signe de misère, c’est une forme populaire d’organisation économique ; ces sticky green, les verts collants, font allusion au cannabis, plante fortement résineuse dont la sève colle, mais également aux billets verts qui collent aux doigts quand on veut les accaparer ; ces bad traffic, ce sont à la fois les trafics délinquants, de drogues, d’armes, de marchandises volées, de contrefaçon, et le mauvais trafic automobile, légendaire et habituel en Californie.
I dip through then I get skin, D-R-E
Je plonge dedans ensuite j’ai la peau (????), D-R-E
Ce vers est obscur, je n’ai pas réussi à le comprendre, désolé 🙂 Il semble évoquer quelqu’un qui mange un plat au poulet, il plonge sa main dedans mais ne chope que la peau – sauf que cela serait une métaphore, il plongerait “dans ce monde des marchés aux puces, des trafics et des embouteillages”, et il obtiendrait… la peau ?
Refrain – Snoop Dogg + Dr Dre
Couplet 3 – Dr Dre
It ain’t nothing but more hot shit
C’est rien qu’un peu plus de merde fumante
Formulation provocante et à double sens, puisque le sens littéral n’est pas pertinent sauf en tant qu’image provocatrice (faire exprès de mal parler), c’est le sens métaphorique qui s’active : de la hot shit, en argot américain, c’est un super truc…
Another classic CD for y’all to vibe with
Un autre CD classique pour vous tous vibrer dessus
Ce vers explicite le sens du précédent, et continue sur le thème de Dre comme roi du rap.
Whether you’re cooling on the corner with your fly bitch
Que tu prennes l’air au coin de ta rue avec ta garce cool
L’artiste définit son public, ce qui prépare la prochaine reprise du refrain, où il “représente les gangsters”.
Laid back in the shack, play this track
Couchés en plein rencard, joue cette piste
Il reprend le procédé d’actualisation du contenu du morceau dans le contexte du public.
C’est auto-référentiel, dès le moment de l’écriture ou de sa diffusion la chanson évoque les moments où elle sera écoutée, reçue, comme si elle était consciente d’elle-même.
I’m representing for the gangstas all across the world
Still (Hitting them corners on the lo-lo’s girl)
Joli effet où le refrain se retrouve cité au coeur même du couplet, soulignant le duo parfait que Dre forme avec Snoop.
I’ll break your neck, damn near put your face in your lap
Je te briserai le cou, si tu t’approches protège ta face entre tes genoux
Après la coolitude et la blague, cette soudaine agression verbale choque le public et authentifie le côté Bad boy du rappeur, et prépare le vers suivant qui en tire la conclusion en quelque sorte.
Niggas try to be the king but the ace is back
(So if you ain’t up on thangs)Les négros veulent êtres rois, mais l’as est de retour
Encore un vers d’auto-affirmation arrogante, symbole de l’empowerment afro-américain. (Michael Jackson, “King of Pop”, Prince, soudain héritier d’on ne sait quel royaume imaginaire…)
Ces niggas sont les autres rappeurs, c’est un grand classique des paroles rap d’aller provoquer tous les autres. Eminem par exemple les chambrera avec son “rappers look at me hungry”, les rappeurs me regardent affamés.
La jolie métaphore est empruntée à un monde connoté assez voyou : les joueurs de carte, notamment le poker, où l’as est la carte la plus forte, plus forte que le roi.
Dr. Dre be the name still running the game
Que Dr Dre soit le nom, régnant toujours sur le jeu
Dr. Dre be the name : cette formule d’un niveau de langage élevé est empruntée aux cérémonies religieuses (baptême), et contraste avec le contexte argotique.
Le vers fait penser au film LE PARRAIN, où une longue scène d’anthologie montre le baptême d’un bébé, futur Parrain, simultanément au meurtre de divers ennemis du Parrain actuel, mêlant une cérémonie grandiose en latin et un massacre violent.
Still, got it wrapped like a mummy
Toujours, bien enveloppé comme une momie
Joli jeu de mots sur l’expression “got it wrapped”, littéralement je l’ai enroulé, et qui signifie “c’est fait”. Il veut dire que c’est si bien enveloppé (fait) que sa musique ressemble à une momie – et implicitement, les momies étant d’abord des pharaons égyptiens, cela confirme la stature plus que royale de Dre.
Still ain’t tripping, love to see young blacks get money
Toujours sérieux dans mes affaires, j’adore voir de jeunes noirs faire du blé
Still ain’t tripping, cela signifie qu’il délire toujours pas, c’est ce qu’on dit en anglais familier pour dire qu’on est sérieux.
Love to see young blacks get money : Dre résume là quelque chose qui sera vraiment une caractéristique de sa vie : il aura contribué à enrichir de nombreux musiciens noirs par la musique, et il en est fier.
Spend time out the hood, take they moms out the hood
Sortir du quartier, sortir leurs daronnes du quartier
Il continue à se féliciter de l’empowerment de ses amis, enfin sortis de la misère grâce à lui.
Hit my boys off with jobs, no more living hard
Filer des jobs à mes jeunes, fini la vie dure
My boys : cette expression confère à Dre un côté paternel.
Barbeques every day, driving fancy cars
Barbecues tous les jours, conduisant des bagnoles stylées
On retrouve la sorte de Dolce vita, de “Thug Life” californienne facile et agréable déjà vantée dans CALIFORNIA LOVE et dans THE NEXT EPISODE.
Tout ce passage, où Dre se vante en tant que philanthrope des ghettos afro-américains, illustre le fait que “Dre be the name still running the game”.
Still gon’ get mine regardless
Je prendrai toujours mon dû quoiqu’il arrive
Le sens du vers n’est pas évident, car il est difficile d’identifier à quoi se réfère ce “mine”.
Refrain – Snoop Dogg + Dr Dre
Outro: Snoop Dogg
Right back up in ya mothafuckin’ ass, 9-5 plus four pennies!
Tout droit de retour dans ton cul de filsdep’, 9-5 plus 4 centimes !
Enigme ! 95+4 = 99, l’année de sortie de ce morceau.
Mothafuckin’ ass : bon, si tu dis pas de saletés dans une chanson rap, t’es pas crédible.
Add that shit up, D-R-E right back up on top of thangs
Ajoute ce truc, D-R-E de retour au top de choses
Nouvelle allusion à la chanson NOTHIN’ BUT A G-THANG, et confirmation des prétentions de Dre en tant que roi, maître du jeu.
Smoke some with your dog, no stress, no seeds, no stems, no sticks!
Fumes-en avec ton chien, pas de mauvaise came, pas de graines, pas de tiges, pas de branches !
C’est du Snoop tout craché, car c’est rempli d’ambiguïtés et de double sens, tu le prends comme tu veux…
Smoke some : fume cette herbe, et consomme cette musique, les deux à la fois !
With your dog : avec qui tu veux, ton chien s’il est fumeur (c’est donc une vanne), ou aussi ton chien préféré : Snoop Dogg !
No stress : le grand-public va croire qu’il recommande, très cool, de se relaxer ? oui.. mais pour les connaisseurs du cannabis, le même mot désigne une herbe de mauvaise qualité, genre celle que fume ta grand-mère, et Snoop, consommateur exigeant, n’en veut pas, donc si t’as pas de la bonne remballe ta came !
Some of that real sticky icky icky, ooh wee!
De la bonne qui colle bien, oh oui !
Là, ça désigne clairement de la beuh, si elle est bien collante ça veut dire qu’elle a beaucoup de résine, et c’est justement dans cet résine qu’est le principe actif du cannabis, ce THC qui fait planer, et qui fait parler français.
Ooh wee : c’est manifestement une parodie, par un américain, d’une exclamation à la bourgeoise parisienne : Tu aimes cette tarte aux pommes ? Oh oui ! Pour les américains, surtout des ghettos, Paris, c’est le luxe. C’est clair qu’à la télé américaine on voit plutôt Chanel que les clochards.
Put it in the air, oh, you’s a fool DR
Elève-la dans les airs, oh, t’es un ouf DR
La phrase Put it in the air est mythique dans les clubs, en général ça veut dire mettez vos mains en l’air, c’est un encouragement à s’amuser, quand c’est pas un hold-up. Mais là de manière plaisante, le “it” n’est pas tes bras, ni ta bite, mais ta fumée. Monte-la bien haut.
You’s a fool : Snoop est tout simplement en train de se foutre de la gueule du public américain, en finissant sur une faute énorme, cette conjugaison volontairement ratée, causant le suicide instantané de tous ses anciens profs d’anglais. You is, c’est l’atrocité de base en anglais, on dit forcément you are, sauf les rappeurs, qui pratiquent un anti-langage, ou si t’es pas content tu la fermes. On verra plus tard Kendrick Lamar s’amuser fréquemment à faire son rappeur illettré limite débile dans des chansons pourtant bien rusées.
Synthèse
STILL est une chanson construite sur peu de chose : la revendication du chanteur d’être toujours là, toujours le même, toujours au top.
Sur ce thème, mince mais idéologiquement important dans le rap (affirmation de valeur de la part d’artistes venus de populations dévalorisées ; black pride, fierté noire), les auteurs réussissent à broder un plan discursif relativement clair :
- Intro : Snoop annonce le thème “still”, et présente Dre.
- Couplet 1 : Dre évoque ses critiques, et les contredit en affirmant qu’il est toujours là, fidèle à lui-même, à ses origines, son style vestimentaire, son public, grand artiste du rap.
- Refrain : Snoop et Dre confirment que Dre est le meilleur rappeur du monde.
- Couplet 2 : Dre fait le bilan de sa carrière, et trouve qu’il a évolué de manière très positive. Il est donc le même, mais en mieux.
- Refrain : Snoop et Dre sont toujours d’accord.
- Couplet 3 : Dre affirme sa fierté d’avoir réussi et d’avoir contribué à enrichir d’autres afro-américains.
- Outro : Snoop recommande de fumer, comme pour fêter le succès de Dre.
Le mot “still” lui-même est présent partout et fait comme un canevas ou un fil rouge :
- Intro : 4 fois.
- Couplet 1 : 6 fois.
- Refrain : 3 fois.
- Couplet 2 : 2 fois.
- Refrain : 3 fois.
- Couplet 3 : 4 fois.
Ce qui nous fait un total de 22 répétitions du mot “still”.
Pourtant ces répétitions s’enrichissent de nuances, car ce mot est polysémique : il veut à la fois dire “toujours”, dans le sens de “I’m still here”, “je suis toujours là”, et “tranquille”, dans le sens de calme, immobile, solide, voire inamovible – on dit par exemple “to stand still”, tenir bien droit. De sorte que tout au long de la chanson, un sens ou l’autre ou les deux s’activent :
- Still doing that shit huh Dre?
- Still ain’t tripping, love to see young blacks get money
- Still, taking my time to perfect the beat
Toujours en pole position dans le grand jeu du rap, des premiers tubes de N.W.A. à ses tubes de 1999, Dre a confirmé par la suite de sa carrière cette position de choix, on le retrouvera notamment dans nos analyses de chansons d’Eminem, 50 Cent et Kendrick Lamar, Dre restera effectivement le “père du rap”.
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