Radiohead – No Surprises – Analyse du scénario du clip

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Analyse de clips (ou comment écrire un scénario de clip)
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Analyse du clip No Surprises Radiohead

Story&Drama analyse le vidéoclip de la chanson No Surprises de Radiohead, qui nous montre le chanteur Thom Yorke sur le point de se noyer dans un bocal.

Analyse narrative du clip No Surprises de Radiohead

Radiohead - No Surprises

00:00 Ecran noir total. Quelques petites lumières orangées ou rouges apparaissent et disparaissent ça et là sur chacune des premières notes de la chanson.

Exposition du monde de l’histoire : on commence par le néant.

Effet médiatique : la synchronisation des 2 médias – image et musique – installe une impression durable d’harmonie.

Structure : déclencheur : première apparition de cet élément abstrait et métaphorique, la lumière, dont les formes et les couleurs vont se diversifier.

00:08 Une lueur de néon nous laisse entrevoir les formes d’un visage.

Ce visage, c’est évidemment celui du personnage qui va devenir le Héros de l’intrigue.

00:14 On commence à reconnaître le chanteur de Radiohead, Thom Yorke. Son visage apparaît et disparaît en fonction de l’état des diodes et des néons.

Ce clignotement participe également du déclencheur, divisé en plusieurs étapes: l’existence du Héros est menacée par l’incertitude de l’issue du contraste etre le néant, l’obscurité, l’existence, la disparition, et l’être, l’existence, la présence, l’apparition.

00:23 Thom Yorke jette des coups d’œil autour de lui. Un texte blanc sur noir, en écriture inversée de gauche à droite, commence à défiler de bas en haut : les paroles de la chanson.

Les coups d’oeil de Thom Yorke jouent le rôle de signal identificatoire : avant, il nous regardait, établissant un contact intime et privilégié, et maintenant, comme il lit un texte que nous ne pouvons pas lire facilement, nous sommes invités à adopter son point de vue, ce qui renforce l’identification du spectateur au Héros.

00:26 Thom Yorke commence à chanter synchro avec la musique. Son visage remplit l’écran.

Effet médiatique : la synchronisation des 3 médias – l’image, le texte écrit, et la musique (elle-même composite : texte chanté + mélodie instrumentale) renforce l’impression d’harmonie et la rend d’autant plus fascinante.

00:33 Pendant 10 secondes, une rangée de nouveaux néons se met en place de la tempe du chanteur au milieu de son nez en passant par son œil droit, et un néon un peu plus gros vient surligner son sourcil gauche, éclairant son visage d’une pâleur verdâtre et glauque.

Ces apparitions de lumières constituent une menace qui semble peser sur le Héros, menace d’être rendu méconnaissable, menace d’être aveuglé ou ébloui, comme la lumière trop forte et trop blanche d’une lampe de bureau lors d’un interrogatoire de police.

Intertextualité : cette lumière aveuglante et blafarde fait allusion à d’autres éléments dans l’univers audiovisuel très riche des clips et des spectacles de Rodiohead, par exemple dans le titre de la chanson Rabbit in Your Headlights ou dans le récit visuel du clip de Karma Police, où un homme persécuté est pris dans le faisceau de phares d’une voiture persécutrice (voir cette analyse plus loin).

Les paroles défilent toujours, ligne par ligne, en synchro avec la musique, les lèvres du chanteur et les diodes qui s’allument et s’éteignent.

Répétition de motif, qui ancre le fonctionnement symbolique du clip comme lutte entre l’être et le néant, la lumière et l’obscurité, le silence et la musique.

01:19 Coïncidant avec un passage musical plus intense, un néon bien plus puissant que les précédents apparaît sur la joie droite du chanteur.

Cet événement ressemble à une attaque, plus claire et plus insistante que les précédentes, de la lumière contre le chanteur, lumière qui prend donc un rôle confirmé d’Antagoniste.

01:21 Un mur de néons bleutés s’allume à l’extrême droite de l’écran. Juste après, un niveau d’eau commence à monter à partir du bas de l’écran.

Structure : nouvel élément déclencheur qui installe un deuxième Antagoniste, plus puissant que le premier, ce qui nous amène à reconstruire partiellement le schéma des personnages : ce niveau d’eau qui monte sera l’Antagoniste principal, et les lumières seront l’Antagoniste secondaire, ou l’Aide de l’Antagoniste, si on préfère formuler les choses ainsi. Cet antagonisme matériel n’a pas de but ni de volonté propre, mais il a pourtant un effet concret sur le Héros : les lumières l’aveuglent et l’empêchent de voir ou de regarder, et le niveau d’eau l’empêche de respirer puis de chanter. Question dramatique : le Héros s’en sortira-t-il ? réussira-t-il à voir, regarder, respirer, chanter ?

01:40 Le niveau d’eau atteint la bouche du chanteur, en plein refrain « No alarms and no surprises ». Il s’adapte en haussant le menton pour finir le refrain, sauf le dernier vers. Il ferme alors les yeux, incline encore sa tête vers le haut pour éviter l’eau, inspire, puis baisse la tête.

Le combat entre le chanteur et l’eau devient très évident.

Structure : cette montée d’eau constitue la fin du déclencheur (divisé en plusieurs micro-étapes, donc), renforce implicitement la question dramatique « le Héros va-t-il survivre, ou se noyer ? », et parachève donc logiquement l’Acte I de cette unique intrigue. On peut aussi bien considérer que cette scène constitue le début de l’Acte II, ce qui ne change quasiment rien aux données dramatiques.

02:00 L’eau atteint maintenant la moitié de l’écran, et fait un effet loupe sur le visage de Thom Yorke, qui recrache un peu d’air par le nez. L’eau monte encore. Thom Yorke ouvre les yeux et nous regarde – son œil gauche à demi fermé. Depuis qu’il est dans l’eau, il ne chante plus, même si la chanson continue. Le texte défile, les diodes clignotent. Le second refrain se termine.

Tout ce passage fait avancer l’Acte II, avec une successions d’étapes de type attaque/défense. Le fait que l’eau ait rendu le chanteur visuellement muet semble faire pencher le conflit en faveur de l’Antagoniste, mais le fait que la chanson continue en dépit de ce mutisme, rétablit l’équilibre des forces et redonne de l’espoir au Héros, donc au public.

02:35 Un passage instrumental commence. L’écran est empli de la tête immergée du chanteur.

Même s’il ne se passe rien, l’image est fascinante et angoissante et la tension dramatique est forte, car les secondes passent et le public sait très bien qu’un homme normal ne peut pas retenir sa respiration plus d’une minute environ, en moyenne.

L’identification du public au personnage marche à plein régime : une star mondiale est en danger de noyade imminente, sous nos yeux !

02:52 Le chanteur cligne de l’œil, on sent qu’il approche de sa limite.

Structure : toute cette scène forme la crise, donc le temps fort de l’Acte III. Pendant ces 20 secondes insoutenables, l’Antagoniste semble sur le point de l’emporter, car la mort du Héros peut ne plus être qu’une question de secondes. Heureusement, il fait preuve de sa principale qualité : la résistance à l’oppression, à l’asphyxie.

L’identification joue à plein : il est très difficile de s’abstenir de ressentir une forte angoisse liée à la compréhension intuitive et automatique de l’angoisse du Héros.

02:56 Il ferme les yeux. Le niveau d’eau commence à descendre. Le chanteur lève la tête pour prendre une grande inspiration. A l’intensité de ses expressions faciales, on ressent sa souffrance. Son visage humide se contracte, sa gorge déglutit deux fois de suite, puis son expression change et il recommence à chanter, synchro, d’un air rageur plein de défi, en nous regardant fixement : « No alarms and no surprises ».

Structure : c’est le climax, ce moment décisif qui donne le résultat du conflit intensifié par la crise, la réponse à la question dramatique : le Héros triomphe finalement. Avec une remarquable ironie, la synchronicité de son sauvetage avec les paroles « No alarms and no surprises » montre que le Héros a su reprendre son côté figé, imperturbable, sans peur, qui l’a caractérisé depuis le début, à l’exception du moment critique où il clignait des yeux en signe de faiblesse.

03:06 Le mur de néons bleutés s’éteint.

03:14 Le grand néon blanc s’éteint. Le visage de Thom Yorke revient à la pénombre.

03:16 Le néon du sourcil s’éteint, puis la rangée de néon qui barrait le visage. Les autres diodes et néons clignotent toujours.

03:28 Tous les néons s’éteignent sauf un.

03:36 Un seul néon et quelques diodes permettent encore de distinguer les traits du chanteur, qui ferme les yeux, comme apaisé.

03:40 Le visage de Thom Yorke clignote dans les tons rouges, puis disparaît. Les dernières diodes clignotent sur les dernières notes du morceau.

03:46 Retour au noir total.

03:57 Fin du morceau.

Cette série d’extinctions lumineuses puis sonores représente l’issue finale du récit (donc la fin de l’Acte III) et parachève la réponse aux deux questions dramatiques posées dans l’Acte I : OUI, le Héros a pu vaincre la montée des eaux, qui peut passer pour une métaphore des épreuves et des difficultés de l’existence, mais NON, lui ni personne n’est capable d’échapper à l’issue finale de toute existence, même héroïque : le retour au néant.

Commentaire

L’épreuve du Héros

Pourquoi et comment ce clip fonctionne-t-il, malgré son extrême simplicité – une seule intrigue, un seul personnage humain, quasiment un seul plan, un minimum de mouvements de caméra ? Comment a-t-il un fort impact sur nous ?

Cela peut s’expliquer, mais pour cela nous devons traverser les apparences et penser la logique narrative dans les profondeurs symboliques de l’inconscient collectif.

Ce clip ne parle pas de ce qu’il montre. Il ne s’agit pas d’une tête dans un bocal, un thème en soi ennuyeux et inintéressant.

Ce clip parle de l’archétype du Héros, l’humain, aux prises avec la douleur de vivre. Son but fondamental – le nôtre, à nous spectateurs, et celui de tout être vivant – consiste à survivre.

Et il rencontre plusieurs éléments fondamentaux et très ambivalents sur sa route :

  • le néant, mais aussi la lumière
  • l’eau – l’eau de l’océan où est née la vie, le liquide de l’utérus d’où nous sommes tous et toutes né-e-s, l’eau nécessaire à la vie, qui abreuve (la soif compte parmi les besoins les plus primaires) mais qui peut aussi noyer
  • et l’air – l’air qui nous permet de respirer (le besoin le plus primaire de tous) ou dont le manque nous asphyxie, l’air qui permet de parler et de chanter, de faire fonctionner le langage, c’est-à-dire d’exister comme êtres sociaux.

Le Héros, sans avoir à rien faire de spécial, condamné à subir passivement, rencontre un à un ces trois éléments :

  • surgissant du néant sans l’avoir cherché (il n’allume pas les diodes, les diodes s’allument toutes seules), aveuglé ou ébloui par ces diodes, puis retournant au néant sans l’avoir cherché (il n’éteint pas les diodes, elles s’éteignent toutes seules)
  • respirant et chantant parce que c’est sa nature, puis empêché de respirer et de chanter parce que l’eau monte (et du fait de la catastrophe écologique en cours, et de la fonte des glaces, l’eau monte sur notre planète comme dans le bocal de Thom Yorke, sans qu’on puisse rien y changer) puis retrouvant ses facultés parce que l’eau descend.

C’est précisément cette confrontation entre un homme à qui l’on peut s’identifier facilement – jeune, riche et célèbre – et nos besoins primaires universels et incontrôlables qui nous rendent fragiles et tellement vulnérables, qui fait toute la tension dramatique et l’impact du clip, allégorie de la vie humaine nous menaçant symboliquement de mourir, mais nous permettant de renaître, de triompher de la noyade et de l’asphyxie, même si à la fin nous retournerons tous au néant.

Avant de réaliser un clip il faut l’écrire.

Ecrire cela s’apprend.

Apprenez à écrire un clip en lisant nos analyses de 14 vidéoclips qui ont marqué l’histoire de la musique.

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