Le scénario, arme du génocide culturel des femmes

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Des fictions sans femmes

La fiction est une représentation du monde.

Pourquoi se rend-elle coupable d’une énorme, injuste et injustifiable distorsion de la représentation des femmes… dans leur existence même ?

Car en effet, nous avons étudié un certain nombre d’oeuvres célèbres et très bien faites techniquement : des films qu’une majorité écrasante de gens ont vus et appréciés comme Pulp Fiction et Le Parrain, une série devenue phénomène mondial comme Game of Thrones, un des clips les plus réussis de l’histoire comme le Thriller de Michael Jackson, ou encore des chansons et des sketches comiques.

Et il se trouve que dans ces chefs d’oeuvre, les femmes sont aussi rares qu’une minorité invisible, voire parfois totalement absentes.

Et apparemment, dans l’opération de représenter le monde en donnant des rôles à des personnages, ces grandes oeuvres se révèlent plutôt efficace pour… représenter équitablement femme et hommes éliminer les femmes du champ narratif et les priver de toute implication personnelle dans l’histoire.

Une représentation objective du monde donnerait un ratio hommes/femmes proche de 50/50 en moyenne.

Or on constate à l’analyse d’oeuvres célèbres dans divers domaines des ratios de distribution des rôles avec 95% d’hommes et 5% de femmes, 70% d’hommes et 30% de femmes au mieux.


Oeuvre Nombre de rôles actantiels Rôles actantiels tenus par des femmes % de rôles actantiels tenus par des femmes
Le Parrain 100 4 (2 pour Kay, 2 pour Connie) 4%
Pulp Fiction 30 1,5 (Mia + le rôle de Héros de Yolanda en duo avec Ringo) 5%
Game of Thrones (Saisons 1 et 2) 174 (environ) 49 (environ) 30%
Le Petit Prince 54 1 (la rose) 2%
Thriller 13 1 (1/2 rôle + 1/2 rôle pour la petite amie de Michael quand elle est Héroïne avec lui) 8%

Mais souvent, ces personnages féminins sont une fois de plus des fantasmes masculins, des figures idéalisées ou allégoriques, comme la femme qui se suicide dans C’était l’hiver de Francis Cabrel ou les petites filles dont une victime juive de la Shoah dans Comme toi de Jean-Jacques Goldman.Parmi ce corpus d’œuvres analysées, il n’y a guère que dans les chansons qu’on peut trouver des histoires avec des personnages féminins importants voire centraux.

Au final, au-delà de leur diversité un grand nombre d’oeuvres font disparaitre la moitié féminine de l’humanité de l’écran, de la page, ou du texte.

Elles génocident en silence puisqu’elles le font par abstention : elles attribuent des dizaines de rôles majeurs et mineurs à des personnages masculins, et n’emploient personne à côté, sauf parfois, une potiche : la rose du Petit Prince qui restera sagement enracinée sous sa cloche, Kay qui ne fait guère qu’entraver l’ascension de Michael Corleone vers le pouvoir hérité de son père, Mia qui ne fait que tenter de faire fauter Vincent, la petite amie du Michael Jackson de Thriller qui ne fait que subir les transformations fantastiques de son petit ami, etc. A chaque fois c’est la même chose : une bien-aimée qui se tait (parce que ce n’est pas d’elle qu’il s’agit).

Seule la série Game of Thrones se rapproche un peu de l’équité de genre, en mettant fréquemment en scène quelques personnages de premier plan, des femmes impliquées dans de multiples intrigues dans des rôles majeurs :

  • Catelyn Stark avec 14 rôles est le personnage le plus actif de toute la série !
  • Son mari Ed Stark a même moins de rôles qu’elle sur les 2 premières saisons : 8 rôles. (Mais sur la seule première saison, il dominait.)
  • La reine Cersei avec 7 rôles est 3è ex aequo avec les Lannister (comme personnage collectif), et 3 hommes: Tyrion Lannister, Joffrey Lannister, et Robb Stark.
  • Daenerys qui part d’un rôle secondaire dans une intrigue mineure, est vouée à devenir et rester longtemps un personnage majeur dans des intrigues majeures.

PERSONNAGE GENRE NOMBRE DE RÔLES ACTANTIELS
Catelyn F 14 rôles
Ed Stark H 8 rôles
Les Lannister 7 rôles
Cersei F 7 rôles
Tyrion H 7 rôles
Joffrey H 7 rôles
Robb H 7 rôles
Stannis H 5 rôles
Arya F 5 rôles
Sansa F 5 rôles
Jaime H 4 rôles
Bran H 4 rôles
Renly H 4 rôles
Robert H 3 rôles
Daenerys F 3 rôles

Au total, ces 14 personnages (moins d’un quart du total) cumulent 83 rôles (soit la moitié du total).

On n’observe pourtant aucune misogynie explicite. De massacres de femmes, on n’en voit pas dans Pulp Fiction, Le Parrain, Game of Thrones ou Thriller, on n’en lit pas dans Le Petit Prince.

Même si certes on voit dans Thriller un charmant petit ami s’amuser à terroriser cruellement sa copine, on voit dans Le Parrain un mari écarter sa femme des affaires et lui mentir sans scrupules, et un autre mari battre sa femme à coups de ceinture, on voit dans Pulp Fiction les femmes être séductrices, infantiles, criminelles ou inutiles tandis que les hommes se battent entre eux, on voit dans Game of Thrones des femmes se faire prostituer ou violer (mais aussi se faire admettre comme chevalier ou exercer son pouvoir de Reine), on lit dans Le Petit Prince que la rose, comme enfermée sur sa minuscule planète, ne sera pas du fabuleux voyage du Héros.

Pourquoi nos cultures sont-elles si outrancièrement dominées par

  • des histoires d’hommes avec des personnages d’hommes
  • racontées uniquement du point de vue des hommes
  • par des auteurs hommes ?

Il faut vraiment réagir contre ce sexisme plus ou moins implicite.

Réagir concrètement par l’écriture quand soi-même on produit des histoires.

La fiction doit se montrer un minimum citoyenne et réaliste, et intégrer des femmes dans tous types d’histoires avec tous types de rôles, y compris les plus importants.

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