Thriller – Michael Jackson – Analyse du clip

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Analyse de clips (ou comment écrire un scénario de clip)
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La chanson Thriller de Michael Jackson est sortie en 1983 au Royaume-Uni et en 1984 aux États-Unis par Epic Records, issue du 6e album studio de Michael, Thriller.

Écrite par Rod Temperton et produite par Quincy Jones, la chanson a fait l’objet d’un clip réalisé par John Landis, comme une sorte de film d’horreur, dans lequel Michael prend un malin plaisir à terroriser puis réconforter sa petite amie, se transforme en loup-garou puis exécute un numéro de danse au milieu d’une troupe de zombies.

Story&Drama analyse ce vidéoclip mythique qui a fortement influencé la culture pop américaine et mondiale.

Cette analyse est un extrait gratuit de notre PDF d’analyse de scénarios de vidéoclips.

Analyse Vidéoclips - Michael Jackson Thriller
Analyse Vidéoclips – Michael Jackson Thriller

Analyse du clip de Thriller

Michael Jackson - Thriller (Official 4K Video)

Analyse et explication du clip de Thriller

Intro

Michael Jackson Thriller

00:00 Ecran noir, puis un texte blanc sur noir apparait : « Due to my strong personal convictions, I wish to stress that this film in no way endorses a belief in the occult. Michael Jackson » (« Du fait de mes fortes convictions personnelles, je souhaite souligner que ce film n’implique en aucune manière une croyance en l’occultisme. ») Ces mots disparaissent.

Thème et genre : ces quelques mots introduisent directement le spectateur au thème du court-métrage – on sait d’office qu’il y sera question de phénomènes occultes -, et génèrent un effet de distanciation – on nous rappelle qu’on va voir une fiction, une œuvre de l’esprit, non pas un documentaire sur le réel.

Pour la petite histoire… Michael Jackson a été élevé comme Témoin de Jéhovah, et en est longtemps resté membre. Au moment de la sortie du clip de Thriller, les Témoins de Jéhovah l’ont menacé d’exclusion et Michael Jackson a voulu supprimer toutes les copies du clip pour leur obéir… c’est son producteur, qui avait obtenu 1 million de dollars de MTV (pour un contrat d’exclusivité de diffusion du clip) et d’une autre compagnie (pour l’exclusivité de la diffusion du Making Of), qui lui a fait changer d’avis, en concédant cet écran où Michael se désolidarise du côté franchement anti-chrétien de son clip. Cette schizophrénie se trouve déjà dans l’histoire, entre un Michael gentil garçon, et un Michael zombie/loup-garou…

00:12 Bruit de respiration, et le titre MICHAEL JACKSON’S THRILLER s’affiche en grosses lettres capitales rouge sang dans une typographie expressive. Léger souffle du vent. Les lettres sont comme animées de vie. Après quelques secondes, ce titre s’efface, retour au noir total.

Médias : ces bruitages nous font entrer très progressivement dans l’espace de la fiction, en utilisant d’office des symboles classiques du genre « horreur », cette respiration et ce bruit de vent. Au contraire, le titre, même stylisé, et le nom de l’auteur, nous rappellent qu’il s’agit d’une œuvre. Cette ambiguïté entre réalité et fiction va se confirmer par la suite, car Mickael Jackson, co-auteur du clip, acteur principal, auteur des paroles, y joue aussi en partie son propre rôle.

Répétition : notons-le au passage, c’est déjà la deuxième fois que le clip montre un fondu au noir. On retrouvera plusieurs fois par la suite cet effet de coupe par le néant qui envahit l’écran, rappelant métaphoriquement certains angoisses primaires, notamment la peur de la nuit obscure, dont tous les monstres peuvent surgir.

Balade en amoureux dans la forêt la nuit

00:20 Bruit de grillons dans la nuit. Une voiture roule lentement dans la pénombre.

Structure et monde : exposition du monde dans lequel va se dérouler l’action de cette intrigue-ci mais aussi celle des autres : la nuit, à peu près à l’époque où a été tourné le clip.

00:35 Le moteur de la voiture produit un son anormal. La voiture s’immobilise sur la voie. Les phares s’éteignent.

Structure : d’office, cette panne apparaît comme le déclencheur d’une première intrigue, qu’on appellera l’intrigue numéro 1.

00:46 C’est Michael Jackson qui est au volant, vêtu comme un étudiant américain lambda. Il est accompagné d’une jeune femme. Elle le regarde d’un air interrogateur. Il explique en riant qu’ils sont en panne d’essence. Elle demande : « Alors qu’allons-nous faire maintenant ? »

Personnages : Michael et la jeune femme sont donc les Héros de cette intrigue 1. Leur Antagoniste, c’est cette panne d’essence dans un endroit désert, et leur but, on peut le déduire, sera de s’en sortir indemnes, ce qui ne semble pas très difficile pour l’instant (ils peuvent marcher, une voiture pourrait les secourir, etc.)

Pour la petite histoire… l’actrice (Ola Ray) qui joue la petite amie de Michael avait été repérée après qu’elle ait posé nue en page centrale du Playboy américain… pas franchement chrétien non plus, alors qu’elle joue un rôle absolument chaste…

01:00 Ils marchent côte à côte en silence. Il lui fait une déclaration d‘amour, à laquelle elle répond positivement. Il lui offre une bague, qu’elle accepte avec joie, puis, comme pris d’une réticence, il lui annonce qu’il est… « différent ».

Structure : cette scène raconte une deuxième intrigue, numéro 2 donc, dont Michael est le Héros qui a pour but de séduire cette jeune femme pour en faire sa petite amie. Comme il y parvient quasi-immédiatement, sans antagonisme, sans opposition, sans conflit, on peut croire soit que l’intrigue s’arrête déjà là, soit qu’elle va se compliquer.

02:10 Mélodie et plan de la lune qui se dévoile derrière les nuages. Michael commence à se tordre sur place, comme pris d’une crise de convulsions. Elle l’observe, inquiète, cherchant à comprendre ce qui lui arrive, elle lui demande si ça va, il est plié en deux.

Structure : cette scène change les données de l’intrigue amoureuse idyllique 2 et en constitue le véritable déclencheur.

Michael Jackson étudiant

02:24 Il se redresse légèrement et son visage a nettement changé : il a maintenant d’horribles crocs, la peau plus sombre, de monstrueux yeux jaunes, et il lui crie « Va-t-en ! » d’une voix bestiale. Elle hurle, terrifiée. La métamorphose de Michael continue tandis qu’il pousse un hurlement, ses os craquent, ses mâchoires s’élargissent, ses crocs poussent, ainsi que ses poils, ses oreilles, ses griffes, ses moustaches. Il est maintenant un horrible loup-garou qui porte toujours les vêtements du gentil étudiant américain. Elle hurle et s’enfuit en courant.

Structure : avec cette confirmation du déclencheur, l’intrigue amoureuse 2 s’est transformée en intrigue d’horreur, numéro 3, occasionnant une reconfiguration radicale des rôles actantiels des personnages, de leurs buts et de leurs enjeux. Michael devient le Héros contre sa petite amie, qui devient l’Antagoniste avec pour but de sauver sa peau face au monstre.

03:02 Elle court éperdument dans la forêt, le loup-garou à ses trousses. Il détruit un arbre au passage, pousse des cris de bête en la poursuivant.

03:36 Il surgit soudain devant elle et elle tombe à terre. Il rugit, il la menace, elle hurle.

Structure : nous assistions donc au développement de l’Acte II, très logique, de cette intrigue d’horreur 3, et nous en arrivions même à la crise de l’Acte III, confrontation directe entre le Héros et l’Antagoniste.

Au cinéma devant un film d’horreur

Michael Jackson cinema

03:43 En parfaite continuité dans la bande-son, on voit les nombreux spectateurs d’une salle de cinéma qui suivent l’action, avec Michael au milieu de la foule, qui semble beaucoup s’amuser, et sa petite amie qui, accrochée à son bras, a l’air terrifiée. Les cris continuent, on comprend donc que le loup-garou du film continue d’attaquer la pauvre petite amie, et Michael mange du pop-corn d’un air réjoui. Une voix d’homme dans la bande-son du film dit « Il est là ! », un autre dit « Mon Dieu, regardez-moi cette chose ! », puis une fusillade éclate. La petite amie de Michael dans la salle de cinéma lui demande : « Est-ce qu’on peut s’en aller ? » Michael répond : « Nan, j’aime bien ! » Elle dit qu’elle ne veut plus regarder le film, se lève et sort. Michael jette un coup d’œil à l’écran, hésite un instant, passe son pop-corn à sa voisine, se lève et suit sa petite amie. Il est vêtu d’une combinaison rouge en cuir.

Médias : la continuité de la bande-son a permis de nous faire comprendre que les intrigues 1, 2 et 3 qu’on suivait étaient celles d’un film, d’une fiction.

Effet spécial : on a là un film dans le film, une fiction dans la fiction, donc une spectaculaire mise en abyme.

Structure : du coup, tout ce qu’on a vu depuis le début se révèle être une fausse piste, faisant simplement l’exposition (Michael et sa copine au cinéma) et le déclencheur (la copine quitte la salle) d’une intrigue numéro 4, dont le Héros est Michael qui prenait plaisir à l’horreur et voudrait rester, et dont l’Antagoniste est cette petite amie qui, au contraire, veut quitter le cinéma pour ne plus avoir peur. Cette intrigue 4 possède le même thème que la précédente : une histoire d’amour, un couple.

04:14 Une vaste affiche lumineuse indique : « Palace / Vincent Price / Thriller ». La musique de Thriller commence. La caméra fait un mouvement descendant en direction de l’entrée du cinéma. La petite amie en sort, Michael la rejoint dehors.

Répétition de motif : c’est la deuxième fois que le titre du clip et du célèbre morceau s’intègre à la fiction.

Michael : C’est juste un film.

Cette réplique souligne la mise en abyme avec une forte ironie dramatique.

Elle : C’est pas marrant.
– T’as eu peur, pas vrai ?
– Pas tant que ça…
– (Riant) T’avais peur…

04:40 Ils marchent dans la nuit noire. Elle marche, il commence à chanter et danser autour d’elle. Elle se met à danser avec lui, à nouveau joyeuse et rassurée.

Structure : on entre dans l’Acte II de l’intrigue 4 même si pour l’instant la source du conflit (la terreur venue du film, avec le soutien de Michael qui aime ça) semble avoir totalement disparu – la tension dramatique, après une première envolée, est donc retombée quasiment à zéro.

Viennent ensuite les paroles de la chanson Thriller, pleines d’évocations sinistres et d’allusions horrifiques.

Ces paroles s’adressent directement à un « tu » qui peut désigner aussi bien la petite amie de Michael, que le spectateur du clip, ou tout être vivant susceptible d’écouter la chanson. L’usage du « tu » sert à faciliter l’identification du spectateur à l’histoire, et à nous flatter, car la star, personnage principal du clip et de la chanson, semble s’adresser à nous directement.

Structure : ces scènes de chant et de danse complètent à nouveau les données de l’intrigue 4. On comprend que dans le cadre de leur histoire d’amour, le but du Héros Michael consiste à familiariser sa petite amie avec la peur et l’horreur, à accepter de jouer avec.

Au cimetière

06:25 Ils arrivent dans un cimetière. Autour d’eux, de nombreuses pierres tombales.

Dans la chanson, une voix d’homme évoque l’heure de minuit quand des créatures de l’au-delà ou de l’enfer viennent perturber le monde des vivants.

Structure : on ne le sait pas encore, mais ce passage inclut dans l’Acte II de l’intrigue 4, peut aussi passer pour l’exposition (Acte I) de l’intrigue 5 à venir….

Pendant ce temps, on zoome sur une tombe. La terre fumante remue, une pierre tombale se déplace sur le côté, ouvrant la tombe, des corps sortent du sol et peu à peu émergent des dizaines de zombies, la peau verte et déchirée, les yeux hagards, les vêtements en lambeaux.

07:33 La voix précédente reprend l’évocation des zombies, sur la musique qui s’intensifie.

Structure : avec cette sortie de terre des zombies, qui vont vite devenir les Antagonistes de Michael et de sa petite amie, l’Acte II prend enfin une dimension dramatique vraiment forte, car auparavant le spectateur savait bien que la chanson de Michael était faite pour évoquer la terreur, sans la provoquer vraiment.

A nouveau la tension dramatique atteint soudain des sommets, prenant une forme qui imite parfaitement l’émotion de terreur – une soudaine montée d’adrénaline.

Michael Jackson zombies

08:04 Les zombies se sont rassemblés en groupe sur la rue, et Michael et sa petite amie, qui arrivaient dans l’autre sens, se figent sur place. Les morts-vivants les encerclent. La musique s’arrête et laisse place au silence. Le couple fait face, essayant de trouver une issue pour sortir du cercle de zombies, sans succès.

Structure : nouvelle modification importante des données dramatiques et du schéma des personnages. Michael et sa copine deviennent le Héros d’une intrigue numéro 5 d’auto-défense contre les zombies-Antagonistes, intrigue qui va s’arrêter là car elle n’était qu’une nouvelle fausse piste, ou plutôt une version temporaire. En même temps, cette scène forme le début d’une sorte de longue crise de l’intrigue 4 où il s’agit pour Michael de jouer avec la peur de sa copine.

08:26 Soudain, Michael s’est à nouveau transformé, yeux exorbités, air sinistre. Sa petite amie le regarde, effarée. Il commence à danser d’une manière saccadée, accompagné par les zombies.

Structure : la crise se poursuit, avec un nouveau bouleversement des données dramatiques… ouvrant donc une nouvelle intrigue, numéro 6, puisque Michael passe à l’ennemi et de Héros devient Antagoniste (avec pour but de tuer sa petite amie, Héroïne ayant à nouveau pour but de sauver sa vie comme dans l’intrigue 3 ?) ce qui redéfinit les zombies comme ses Aides.

Simultanément, la répétition du motif de sa transformation en créature surnaturelle bestiale et effrayante vient entretenir le trouble dans l’esprit du spectateur, tenté de voir dans cette scène une continuation de l’intrigue 3 racontée dans le film qui passait au cinéma.

09:40 Michael commence à chanter le refrain « ‘Cause this is thriller », qui mélange de manière ambiguë la volonté de faire peur et la volonté de rassurer.

Thèmes et personnages : cette ambiguïté thématique de la chanson s’accompagne d’une ambiguïté profonde à propos du rôle actantiel de Michael – Héros ou Antagoniste ? menace ou sauveur ?

La maison abandonnée

10:35 La petite amie s’enfuit dans la nuit. Elle entre dans une maison abandonnée. Les zombies la suivent. La musique s’arrête et est remplacée par des sons d’ambiance angoissants, frottements, pas, grognements.

Structure : l’Acte II de l’intrigue 6 se développe avec cette nouvelle péripétie.

11:07 Dans la pénombre de la maison, la petite amie cherche une issue. Les zombies cassent les fenêtres, émergent des planchers, la petite amie se réfugie sur un lit et crie, effrayée. Michael et les zombies s’avancent vers elle, de plus en plus près, elle hurle.

Structure : l’intrigue 6 entre en crise (Acte III) la tension dramatique atteint des sommets, le spectateur sent que la résolution et le climax sont proches.

Thriller videoclip

11:47 Soudain le décor change : un appartement, le soir, Michael se tient devant sa petite amie, avec sa combinaison rouge et un visage normal, et en souriant il lui demande d’une voix normale : « C’est quoi le problème ? » Il l’enlace, elle sourit, rassurée, il commence à l’emmener en marchant dans le salon.

Structure : climax ! L’intrigue 6 se résout d’une manière totalement inattendue, c’est-à-dire en s’annulant, comme s’est annulée la précédente intrigue terrifiante du film de cinéma. On peut aussi y voir l’exposition d’une intrigue numéro 7, où Michael, Héros, a pour but de sauver sa petite amie de ses pires cauchemars…

11:58 Il se retourne vers nous, sourire aux lèvres avec ses yeux jaunes de loup-garou, tandis qu’un rire démoniaque retentit et que l’image se fige. On zoome lentement sur cette dernière image et la musique de Thriller reprend.

Personnages : ce curieux dénouement de la structure narrative vient confirmer la double nature et la profonde ambivalence du personnage de Michael (et sans doute de Michael Jackson lui-même…), séducteur charmant et monstre surnaturel…

Structure : du coup, on peut se demander si l’intrigue 6 se termine vraiment ou si Michael va à nouveau se transformer et terrifier sa petite amie…

Outro

12:05 Les éléments du générique de fin apparaissent : « Directed by John Landis, Written by John Landis and Michael Jackson », etc.

Structure : cet élément méta-narratif de clôture complète l’ouverture de manière symétrique, générant une impression de retour à l’ordre (et au réel) après la traversée d’un récit chaotique.

12:22 La chorégraphie avec les zombies reprend.

Structure : cette reprise de la chanson et de la chorégraphie, comme un bonus, fait apparaître l’élément précédent comme une fausse piste, une fausse fin ; en même temps, étant donné que les intrigues précédentes 4, 5 et 6 ont été résolues de manière inattendue mais assez satisfaisante dans les séquences précédentes, on ne s’attend pas vraiment à ce que l’action reprenne.

13:17 Un zombie sans tête marche lentement dans l’obscurité. Un message s’affiche : « Tous les personnages de ce film sont fictifs. Toute similarité avec des événements ou des personnes vivantes, mortes (ou mort-vivantes) serait pure coïncidence. » Deux autres zombies rejoignent le premier et ils dansent synchro.

Structure : comme précédemment, ce message est parfaitement symétrique au message initial où Michael nous prévenait qu’il ne croyait pas au surnaturel. Ces messages, juxtaposés à la marche du zombie décapité, restent dans la logique d’ambivalence profonde des intrigues du clip.

13:40 Sur un rappel mélodique insistant qui correspond au refrain « Thriller », une affreuse tête grimaçante et souriante, cheveux hirsute, chair moisie, nous regarde.

Structure : même remarque que précédemment.

13:42 Ecran noir.

Structure : ce dernier effet de symétrie (le clip s’est ouvert sur un fondu à l’image partant d’un écran noir) renforce encore le dispositif des parallélismes, qui donne à l’ensemble du clip un air de perfection, de maîtrise, de logique, de rationalité, alors même que le clip, sa mise en scène, ses intrigues, ses personnages, et son message profond, portent sur tout le contraire : des ruptures inexplicables, des absurdités illogiques, des terreurs aux formes bizarres, des ambiguïtés incontrôlables…

Commentaire

Intrigues : une histoire dans l’histoire dans l’histoire

D’une manière très originale, le scénario de Thriller se livre à un exercice de style de haut niveau :

  • une double mise en abyme
  • un remarquable effet d’asymétrie dans la distribution de l’information
  • un effet de montage anti-chronologique.

Eh oui !! Comme ces formulations ont l’air diaboliquement compliquées, détaillons.

Il y a mise en abyme quand une œuvre représente une œuvre ou se trouve incluse dans une œuvre, et se répète donc à un niveau inférieur ou supérieur – par exemple une image dans une image, un livre dans un livre, ou comme ici un film dans un film. C’est une forme de figure fractale ou récursive, comme en mathématique et en géométrie, quand une forme est construite sur la même forme à une échelle plus petite ou plus grande.

Si on résume le clip après l’avoir vu, on s’aperçoit que l’histoire raconte en fait ceci :

  • Une femme rêve (elle se réveille brutalement en 11:47) qu’elle s’est perdue en forêt (à partir de 04:40) avec son petit ami qui s’est transformé en loup-garou (à partir de 08:26)…
  • … après qu’ils aient été voir un film d’horreur au cinéma… (cela dure depuis 00:20 mais on ne l’apprend clairement qu’à partir de 03:43)
  • … qui les montrait elle et lui perdus dans une forêt (à partir de 00:20) et où il s’est transformé en loup-garou (à partir de 02:24)…

On a donc un film d’amour puis d’horreur (que Michael et sa petite amie voient au cinéma) qui fait partie d’un rêve (fait par la petite amie de Michael) qui fait partie d’un film d’amour et d’horreur (le clip Thriller)…

Comme on le voit, les faits sont racontés dans un ordre contraire à l’ordre chronologique, on parle donc de montage anti-chronologique (anti = contraire).

Cette structure aussi bizarre que géniale ne nous est dévoilée que très progressivement, c’est pourquoi on peut parler d’une asymétrie dans la distribution de l’information :

  • Quand nous spectateurs regardons la première intrigue, celle de la panne du couple en forêt, nous ignorons qu’il s’agit d’un film, alors que les personnages de Michael et de sa petite amie savent bien qu’ils sont venus voir au cinéma un film nommé… Thriller
  • Et quand nous spectateurs regardons l’intrigue où Michael et sa petite amie font une balade dans le noir après avoir quitté le cinéma, et qui sont ensuite attaqués par des zombies dont Michael est devenu le chef, nous ignorons qu’il s’agit d’un rêve de la petite amie de Michael, alors que celle-ci, une fois réveillée ou même avant, le sait, et que Michael sait lui aussi qu’il n’est pas dans le rêve de sa petite amie, même s’il ignore probablement qu’il y était…

Pour compliquer encore les choses, le clip nous stupéfie à la fin par une dernière énigme : si la première transformation de Michael en loup-garou était une fausse piste, puisqu’il s’agissait d’un film, et si la deuxième transformation de Michael en chef des zombies était aussi une fausse piste puisqu’il s’agissait d’un rêve, alors… pourquoi Michael a-t-il finalement les mêmes yeux jaunes qu’il avait dans le film comme dans le rêve, alors qu’on semble être revenus au réel et au monde normal ? Cette question ne sera jamais résolue, mais simplement esquivée une dernière fois quand le clip s’achève avec les signatures des scénaristes Michael Jackson et John Landis qui revendiquent le clip comme œuvre de pure fiction.

Imaginez maintenant qu’on nous ait raconté l’histoire dans l’ordre chronologique : une jeune femme rêve, dans le rêve elle va au cinéma avec son petit ami et se voit dans un film tomber en panne avec lui en forêt etc, ils quittent le cinéma puis se baladent en forêt et sont attaqués par des zombies, et enfin son véritable petit ami la réveille de ce cauchemar.

Une telle histoire, avec exactement les mêmes données narratives, les mêmes personnages ayant les mêmes rôles actantiels et les mêmes buts, n’aurait pas du tout le même impact. La tension dramatique serait beaucoup plus faible, et le sens de l’ensemble changerait radicalement.

Comme nous l’avons exposé dans Scénario 1 et Scénario 2, une histoire, c’est non seulement un ensemble de faits, d’actions, de personnages, mais aussi un narrateur (ici omniscient) qui nous les raconte (ou qui les passe sous silence) dans un certain ordre, et donc construire une histoire implique non seulement de paramétrer les données de base des intrigues, mais également d’en faire un montage qui ait sa propre force et sa propre pertinence.

Le montage

Le montage, ou la structure d’intrigues, fait la force exceptionnelle du clip Thriller.

Ce montage a recours à plusieurs types d’arrangements entre intrigues (voir les détails dans Scénario 2) :

Intrigues factorielles

Une intrigue est factorielle quand elle constitue une partie d’une autre intrigue. Alors que ce procédé se rencontre d’ordinaire plutôt rarement, dans thriller il est de loin la structure majoritaire, presque jusqu’au délire : quasiment chaque intrigue est une partie d’une autre et lui sert d’exposition.

Ainsi l’intrigue 1, de la panne d’essence, sert d’exposition à l’intrigue 2, de déclaration d’amour, qui sert d’exposition à l’intrigue 3, de transformation en loup-garou, qui sert d’exposition à l’intrigue 4, où Michael et sa petite amie regardent un film, ce qui sert d’exposition à l’intrigue 5, où Michael et sa petite amie sont attaqués par des zombies, ce qui sert d’exposition à l’intrigue 6, où Michael est devenu le chef des zombies, ce qui sert d’exposition à l’intrigue 7, où Michael sort sa petite amie de cauchemar par emboîtement d’emboîtements d’emboîtements…

Intrigues en série

Simultanément, les mêmes intrigues fonctionnent aussi en série, c’est-à-dire qu’elles reprennent exactement les mêmes personnages et leur attribuent des rôles actantiels et des buts légèrement différents à chaque fois, ainsi les intrigues 1, 2, 4, 5 et 7 donnent à Michael un beau rôle de gentil petit ami un peu cruel mais correct, qui veut aimer et protéger sa petite amie, tandis que les intrigues 3 et 6 donnent à Michael un rôle de Héros monstrueux qui représente une menace pour sa petite amie en position d’Antagoniste, comme si l’histoire se répétait à l’identique.

Comme dans le conte fantastique, ces répétitions de structure miment un type bien connu de folie : l’obsession.

Avant de réaliser un clip il faut l’écrire.

Ecrire cela s’apprend.

Apprenez à écrire un clip en lisant nos analyses de 14 vidéoclips qui ont marqué l’histoire de la musique.

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