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Story&Drama analyse les paroles de la chanson Le bal des Lazes de Michel Polnareff, l’histoire d’un crime passionnel commis par un amoureux malheureux.
Clip
Paroles
1
Je serai pendu demain matin
Ma vie n’était pas faite
Pour les châteauxTout est arrivé ce soir de juin
On donnait une fête
Dans le châteauDans le château de Laze
Le plus grand bal de Londres
Lord et Lady de Laze
Recevaient le grand mondeDiamants, rubis, topazes
Et blanches robes longues
Caché dans le jardinMoi je serrais les poings
Je regardais danser
Jane et son fiancé2
Je serai pendu demain au jour
Dommage pour la fille
De ce châteauCar je crois qu’elle aimait bien l’amour
Que l’on faisait tranquille
Loin du châteauDans le château de Laze
Pour les vingt ans de Jane
Lord et Lady de Laze
Avaient reçu la ReineMoi le fou que l’on toise
Moi je crevais de haine
Caché dans le jardinMoi je serrais les poings
Je regardais danser
Jane et son fiancé3
Je serai pendu demain matin
Ça fera quatre lignes
Dans les journauxJe ne suis qu’un vulgaire assassin
Un vagabond indigne
De ce châteauDans le château de Laze
Peut-être bien que Jane
A l’heure où l’on m’écrase
Aura un peu de peineMais ma dernière phrase
Sera pour qu’on me plaigne
Puisqu’on va lui donnerUn autre fiancé
Et que je n’pourrai pas
Supprimer celui-là
Analyse
Cette histoire annonce clairement la couleur : il s’agit d’un Héros qui va être pendu le lendemain. On ne nous dit pas pourquoi : suspense. D’entrée, cette information supprime tout espoir de happy end et empêche le développement de toute intrigue sérieuse au présent.
En l’occurrence le reste du couplet raconte une intrigue principale passée : une fête dans un château aristocratique, où le narrateur-Héros caché dans le jardin épiait la femme qu’il aime dansant avec son fiancé.
Le couplet 2 répète à peu près les mêmes éléments en nous apprenant au passage que Jane et le Héros étaient amants. Cette information illumine soudain non seulement le couplet en cours mais également le couplet précédent, car cela explique pourquoi le Héros était caché à serrer les poings en regardant le bal : on peut déduire qu’il a été remplacé comme fiancé potentiel par un autre homme. Cette information reste tout aussi implicite, non-dite, que déductible, objectivement présente dès qu’on y réfléchit. Polnareff a l’élégance de ne pas insister sur l’essentiel, ce qui rend l’effet plus puissant.
Le couplet 3 révèle finalement le mystère en 2 étapes décisives :
- 1/ Quand le Héros se qualifie de vulgaire assassin, on déduit qu’il a tué et que pour cette raison on va le pendre. Mais qui a-t-il tué ?
- 2/ Quand il regrette de ne pas pouvoir tuer aussi le prochain fiancé de Jane, on déduit qu’il a tué le précédent – précisément celui qu’il observait de loin, les poings serrés…
On voit avec quelle obsession maniaque Polnareff a soigneusement réduit la chanson à un minimum de vers et de mots qui se répètent, rendant tout nouveau fragment de sens rare et précieux.
Ces fragments, dès qu’ils sont découverts, sont décodés et reconstruits logiquement par le public qui ne peut pas s’empêcher d’avoir des déclics successifs : le récit est une machination, tout comme le meurtre prémédité qu’il raconte.
Ces déclics correspondent tout simplement à l’identification par notre esprit de schémas connus : un homme qui observe un couple de loin en serrant les poings est un assassin en puissance.
On remarquera au passage que la chanson est très similaire à Amsterdam de Jacques Brel par 3 aspects :
- sa structure très régulière de vers et de syllabes
- son goût pour le crime ou les bas-fonds
- son jeu permanent avec la chronologie et les temps passé récent-présent-futur proche.
Les grandes différences entre les deux chansons :
- Le bal des Lazes est bâti sur une structure dramatique forte et un Héros bien identifié (même si anonyme)
- Amsterdam est bâti sur une structure faible et un Héros indéfini.
Le coup de force de cette chanson-ci, son génie, ce qui la rend si spéciale, tient à sa perverse dissimulation d’informations essentielles à la compréhension de la situation.
Dans la vie et dans le monde actuel, on a l’habitude de reconnaître la malhonnêteté d’un discours au fait qu’il nous cache une partie importante de ses données et de ses enjeux.
Le droit connait ce qu’il appelle les délits de « recel d’information » et de « trafic d’influence ». En amour ou en amitié, on parle de « mensonge par omission ».
En scénario de même il est possible de donner du corps aux menteurs et aux hypocrites en leur faisant dissimuler des informations cruciales, et ce n’est pas un délit, mais un effet…
…
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Pas d accord
Analyse sociale
Frustration sociale et affective
Passage à l acte
Psychopathie
Haine de soi
Rien à voir avec Amsterdam