L’humour dans les vidéos de Rémi Gaillard

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Analyse de sketchs comiques
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Vous aussi, vous voulez faire rire les foules ?

Des plus grands auteurs comiques, apprenez à construire un délire logique, une situation super loufoque, une arnaque conceptuelle, des personnages tordants…

Et rendez vos histoires plus que drôles !

 

L’humour dans les vidéos de Rémi Gaillard

Ce n’est pas en faisant n’importe quoi qu’il est devenu Rémi Gaillard.

Il a produit ses vidéos avec des moyens bon marché et accessibles : format vidéo à la main, aucun effet spécial, aucun décor à part les situations réelles déjà existantes, pas de mise en scène compliquée, quelques déguisements et accessoires qui ne dépassent pas le budget d’un gros costume de peluche, d’un kart ou d’une location de bus.

Ces vidéos durent quelques minutes en moyenne, et impliquent donc peu de montage et peu de post-production.

La plupart du temps, elles sont sans dialogues, ou ne contiennent que quelques phrases courtes. Cette pauvreté formelle s’est révélée un énorme avantage pour une diffusion mondiale via les sites de partage de vidéo, Youtube et Dailymotion : cet humour purement visuel dépasse les langues et les cultures des publics du monde et n’entraîne aucun coût de traduction.

Thèmes

Rémi a fait toute une série de séries thématiques :

  • Animaux : chauve-souris, araignée, oiseau bleu, chien, papillon (qui prend les gens ou des flics dans son filet), kangourou, escargot…
  • Sports : foot, course automobile (Mario), boxe (Rocky), football américain…
  • Jeux vidéo : Super Mario Kart, Pac Man…
  • Films : The Godfather, Rocky, Vendredi 13…
  • Dessins animés : Goldorak…
  • Personnages réels mais relevant de l’imaginaire : l’Astronaute.

Genres

L’œuvre humoristique de Rémi Gaillard se répartit en quelques genres :

  • Les canulars, les usurpations d’identité
  • Les parodies d’œuvres célèbres, les remake, les citations
  • Les jeux d’adresse
  • Le détournement poétique du quotidien

Les vidéos de cette dernière catégorie partagent des traits communs :

  • Elles mettent en scène des situations banales…
  • …. qu’elles transforment en moment de folie spectaculaire et hilarante grâce à quelques interventions.
  • Souvent il s‘agit d’un personnage irréel en costume qui fait irruption dans une situation réelle…
  • … ou d’une situation irréelle qui transparaît dans une situation réelle

Étudions-en quelques épisodes mémorables.

 

Escargot

0:00: une image banale de circulation automobile chargée sur une route nationale en forêt. Il ne se passe rien d’intéressant. Musique classique et klaxons mélangés en fond sonore.

Structure : exposition du monde – une route banale – dans lequel va se dérouler l’intrigue.

Les klaxons dans la bande-son forment un premier indice du déclencheur, tandis que la musique classique, par contraste, introduit dans l’esprit du public l’idée d’une beauté poétique encore à venir.

0:10 : La caméra fait un panoramique descendant le long de la route, vers le bas de l’image.

On remarque que la circulation est engorgée à gauche et que ça klaxonne, alors que le trafic est plus fluide à droite. On commence à se demander pourquoi.

Effet de suspense.

0:15 : On voit un escargot en peluche à taille humaine, rampant sur la route à quelques centimètres par seconde dans la file de gauche, expliquant l’engorgement.

Structure : déclencheur. L’escargot, Héros mignon et innocent, a pour but tout simple d’avancer à sa vitesse très lente, et les voitures, ses Antagonistes, ont pour but inverse d’avancer à vitesse rapide, sans se laisser bloquer par l’escargot.

Les voitures le contournent par leur droite, au pas, en klaxonnant furieusement.

Structure : crise et climax de l’Acte III (pas besoin d‘Acte II), les voitures résolvent leur problème.

Enorme effet d’émotion par identification du public au pauvre escargot. La violence agressive des klaxons entre en total contraste avec le bel effort consenti par l’escargot pour se traîner aussi vite qu’il peut.

La caméra zoome sur l’escargot puis dézoome lentement, revenant à la situation complète : l’escargot sur la file de gauche engorgée, la droite étant déserte.

Effet de distribution de l’information : cette synthèse visuelle révèle finalement toute l’absurdité poétique de la scène. Le Héros et l’Antagoniste connaissaient leur situation, le public ne l’a découverte qu’au fur et à mesure.

Imaginez que la vidéo ait commencé par ce plan final : toute la mécanique dramatique en aurait été cassée. Il vaut toujours mieux garder de l’information dramatique pour la fin !

0:30 jusqu’à 0:40 : apparaît la désormais célèbre devise : « C’est en faisant n’importe quoi qu’on devient n’importe qui. »

Signature stylistique et philosophique de l’auteur.

 

L’Astronaute

Sur un terrain de golf, une petite voiture arrive vers la caméra, du fond d’une pelouse vallonnée.

Structure : exposition du monde, un terrain de golf.

On entend la bande-son typique des commentaires hachés façon talkie-walkie de la référence originale, le débarquement du premier homme, l’Américain Louis Armstrong, sur la lune : « Allo Houston, ici la lune. Je suis prêt à faire le premier pas. »

Structure : déclencheur. La voix off, qu’on identifie facilement avec le conducteur de la petite voiture de golf qui ressemble à un véhicule lunaire, est le Héros dont le but est d’atterrir sur la lune. Question dramatique implicite : y parviendra-t-il ? Pas d’Antagoniste pour l’instant.

La voiture se gare près de 2 golfeurs après en avoir fait le tour, un astronaute en sort, en tenue complète, notamment un casque en forme de boule, typique. La voix off de Rémi commente : « C’est un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour l’humanité. »

Structure : on passe direct à la crise de l’Acte III, puisque la mise en œuvre du but n’a rencontré aucun obstacle.

L’astronaute s’empare du drapeau, et va le replanter ailleurs. « Je suis sur la surface. Tout va bien. Mission accomplie. »

Structure : climax et réponse positive à la question dramatique.

Il est pris en chasse par les golfeurs.

Structure : l’Acte III se complique par cette soudaine apparition des Antagonistes. La crise se rejoue donc. En effet, pour que l’intrigue soit réellement une mission accomplie comme cela a été annoncé, il faut que l’astronaute puisse s’en sortir indemne.

Rémi dit : « C’est en faisant n’importe quoi qu’on devient n’importe qui. »

L’habituelle signature des vidéos de Rémi Gaillard se retrouve ici intégrée dans le scénario, petite blague métafictionnelle bien sympa.

Il s’enfuit tant bien que mal en laissant une de ses chaussures rebondissantes dont un golfeur s’empare comme d’un trophée.

Mise à jour du climax et de la réponse à la question dramatique : mission accomplie oui, mais avec une perte de matériel et une mise en danger.

« Ici Houston, on a un problème ! »

Parodie de la célèbre réplique d’un moment dramatique de l’histoire de la conquête spatiale, juste avant l’explosion d’une fusée.

L’écran apparaît : « C’est en faisant n’importe quoi qu’on devient n’importe qui. » La bande-son crachote, la voix de Rémi dit « Houston, je rentre à la maison » et on voit l’astronaute qui s’éloigne en courant piteusement…

Dernière mise à jour du climax et de la réponse à la question dramatique : révélation évidente du fait que toute l’intrigue n’était qu’une grossière supercherie.

 

Super Mario Kart

0:00 : Après le titre Mario Kart, les premières images et les premiers sons reprennent les écrans typiques du jeu ainsi que les voix pitchées dans les aigus et les musiques d’ambiance.

Structure : exposition du monde de l’intrigue, le jeu vidéo avec ses codes, ses personnages.

0:04 : Dans la même logique, on poursuit avec le célèbre écran « Player Select » qui permet de choisir le joueur. On constate qu’au milieu des personnages traditionnels, Mario, Luigi, Peach, etc., s’est glissé un intrus, Rémi. C’est lui qui est sélectionné.

Structure : c’est donc le déclencheur : Rémi Héros d’une mission de Super Mario Kart.

0:08 : on passe à une image vidéo réelle : Rémi déguisé en Mario, dans un kart, en pleine ville. La caméra qui le filmait de front se déplace et révèle qu’il attend au feu rouge. Les bruitages aident beaucoup à l’ambiance, notamment le « OK ! »

Structure : le déclencheur se précise par cette mise en situation concrète. Question dramatique : Super Rémi gagnera-t-il la course ?

0:20 : Le feu passe au vert, la course commence. Mario s’élance, en tête. Il envoie des bananes à une voiture puis à une moto. Bruit de moteur poussif, cris de joie.

Structure : on se lance dans l’Acte II. Les conducteurs normaux sont considérés comme Antagonistes par le Héros, même si eux-mêmes ne se voyaient pas ainsi…

1:00 : Mario passe à la pompe. Sa voiture est toute petite comparée aux autres ! Il en profite pour se glisser habilement et sans payer sous la barrière antifraude !

Structure : l’Acte II se poursuit.

1:16 : Mario reprend sa course, double, fonce, et passe l’Arc de Triomphe du Peyrou à Montpellier sous un déluge de jingles de victoire débiles. Apothéose !

Structure : crise, climax et réponse à la question dramatique : Rémi a gagné.

Remarque : en fait cette première intrigue qui tourne court ne fonctionne que par le côté cocasse de la situation, et montre soit que l’auteur n’a pas pu réunir assez de matériel pour raconter une vraie intrigue dramatique, soit qu’il n’a pas su ou voulu le faire. Des carences dans ses autres vidéos nous laissent croire que la scénarisation n’est pas son point fort, ce qui est dommage, mais ne l’a pas empêché de trouver un succès mondial, car il excelle dans d’autres domaines : le comique de situation, l’audace, l’improvisation.

1:35 : Mario vient d’être arrêté par la police.

Structure : nouvelle exposition d’une nouvelle intrigue.

Personnages : disproportion entre son petit kart et le gros van des policiers, et contraste ridicule entre son uniforme décalé et l’uniforme très officiel, terriblement terre-à-terre des policiers.

1:40 : Profitant d’un moment d’inattention des policiers, Rémi reprend le volant et s’élance.

Structure : déclencheur. Héros, Rémi, but, prendre la fuite, question dramatique : parviendra-t-il à s’enfuir ? Antagonistes, les flics.

1:50 : Des bruits de sifflet, une musique de film muet burlesque, viennent souligner le comique de la scène. L’écran « C’est en faisant n’importe quoi qu’on devient n’importe qui » apparaît.

1:55 : Rémi s’enfuit, avec le van des policiers à ses trousses !

Structure : crise et climax. Réponse incertaine à la question dramatique : peut-être ?

2:10 : La scène se déroule de nuit. Sur l’autoroute déserte, on entend un moteur, on voit un radar, puis le kart de Mario arrive de loin, pétarade devant la caméra, se fait flasher par le radar et disparaît à l’horizon de l’autre côté, ni vu ni connu.

Structure : en une seule scène, on a tous les éléments d’une troisième mini-intrigue.

 

Rocky II

Dès le départ, le titre de la vidéo sur les sites de partage ou sur le site de Rémi Gaillard enclenche chez le public une lecture parodique, au second degré, de la vidéo.

0:00 : Une caravane dans une cour en mauvais état. Rémi hurle à l’intérieur : « Tu m’emmerdes ! »

Structure : exposition du monde – la misère, comme dans la banlieue de Philadelphie de l’histoire originale de Rocky.

0:15 : Rémi sort, jette une table contre la caravane tandis que retentissent les premières notes du célèbre hymne triomphal de l’entraînement de Rocky et que l’auteur et le titre s’inscrivent à l’écran.

Structure : confirmation du monde, avec plus de détails. On comprend que Rémi incarne Rocky et que la personne à qui il s’adressait violemment est probablement Adrienne.

0:20 C’est parti. Rémi s’élance, court sur une voie ferrée, semble faire la course avec un TGV, pour se rafraîchir vole une bouteille à trois loubards qui le prennent en chasse ainsi que le cameraman qui part en fuite folle.

Structure : déclencheur, donc Rémi-Rocky Héros d’une intrigue d’entraînement sportif qui a pour but un combat final contre un Antagoniste encore non-identifié avec comme question dramatique : Rémi triomphera-t-il ?

Puis, début de l’Acte II avec les premières étapes de l’entraînement sportif.

1:20 Rémi chasse les pigeons au milieu des restes du marché.

1:30 Rémi boxe contre un jambon dans un supermarché – un employé vient le voir.

1:35 Rémi vole un tuyau de douche à un ouvrier et s’en sert comme d’une corde à sauter avant de rendre le tuyau-corde.

1:55 Un homme attend devant un ascenseur fermé. L’ascenseur s’ouvre, l’homme va pour entrer mais trouve Rémi occupé à faire sa muscu à l’intérieur, comme au gymnase. L’homme reste stupéfait, l’ascenseur se referme et l’homme prend l’autre ascenseur.

2:15 Un pêcheur au bord d’une rivière. Rémi passe au milieu de la rivière, un rondin sur les épaules.

2:30 La caméra suit en panoramique 2 joggeurs. Au passage on découvre Rémi qui court lui sur un tapis roulant au milieu du chemin !

2:40 Sur une plage, Rémi en vêtements chauds soulève et lance de grosses pierres. La caméra dézoome et dévoile toute une digue en pierres, ce qui laisse croire que Rémi vient de déplacer tout ça. Rémi contemple son œuvre, on l’imagine satisfait. Il repart au pas de course. Il est filmé comme une star, auréolé de soleil.

3:10 Rémi arrive en peignoir et gants de boxe au milieu des étalages, entre avec assurance dans un local de service à côté de l’étal de boucherie, puis se met à boxer une carcasse.

3:30 Rémi passe devant un étalage de fruits, demande à prendre un fruit au primeur, et s’en va, pris en chasse par le primeur qui lui lance une cagette, sans l’atteindre.

Structure : dans tout cet Acte II, on enchaîne des situations relativement disparates mais qui ont toutes en commun le même thème, le même but, le même Héros. On varie seulement les modalités de réalisation des sous-buts – entraîner la résistance, boxer, s’épuiser, courir plus vite que tout le monde, etc. On observe que ces situations sont plutôt une série de micro-intrigues, vite posées et vite résolues, et pas vraiment un développement dramatique et logique, articulé et cohérent. La preuve : on pourrait sans problème remonter ces scènes dans un autre ordre sans nuire à l’intelligibilité de l’ensemble. Ce qui confirme notre remarque sur le fait que Rémi est le roi du comique de situation, mais pas le roi de l’art narratif. Blague sur blague, sans suite dans les idées.

3:45 Aux toilettes publiques, un homme va pour pisser, mais Rémi est à l’intérieur, assis sur la cuvette et occupé à se mettre du papier autour des mains comme font les boxeurs avant d’enfiler leurs gants, puis il se met à boxer dans le vide.

Structure : ce préparatif d’avant-combat indique au public que la crise va commencer.

4 :10 Une main désigne le kangourou dans la liste des animaux du zoo.

Personnages : désignation de l’Antagoniste.

Un boxeur et un homme en costume de kangourou se font face dans l’enclos, puis engagent le combat, sous le regard d’une enfant. Le kangourou s’agite en vain, le boxeur lui met 2 bonnes droites et le kangourou s’écroule. Le boxeur, Rémi, lève les deux bras en signe de victoire.

Structure : crise de l’Acte III (le combat), sans dramatisation, climax (la victoire), et réponse positive à la question dramatique : oui, grâce à son entraînement, Rémi a vaincu le kangourou. Comme cet Antagoniste est arrivé à la fin sans aucune préparation, comme aucun élément ne nous a laissé croire qu’il pourrait être un adversaire redoutable, la tension dramatique au cours de la crise est restée très plate. Pas grave, ce n’est qu’une blague.

4:55 « C’est en faisant n’importe quoi qu’on devient n’importe qui »

 

Commentaire

Toutes les vidéos de Rémi Gaillard que nous venons d’analyser, et ses vidéos en général, fonctionnent sur des scénarios très simples : action simpliste ou décousue, très peu de personnages, souvent uniquement le Héros et des Antagonistes occasionnels, intrigues souvent uniques, sans aucun montage.

En fait ces vidéos, toutes narratives (non pas discursives comme l’humour de Desproges ou de Gaspard Proust) fonctionnent sur des critères plus poétiques ou thématiques que véritablement dramatiques :

  • L’irruption de l’imaginaire dans le réel
  • L’incongruité, le caractère surréaliste des situations
  • L’audace et la loufoquerie de l’auteur-comédien

On constate donc qu’on peut obtenir un succès international avec très peu de moyens et quelques bonnes idées.

Néanmoins, les modèles classiques du type d’humour de Rémi Gaillard – le burlesque -, Buster Keaton et Charlie Chaplin, étaient, eux, des maîtres en scénarisation, capables de compliquer les situations et de les enchaîner logiquement (même si la logique semble absurde).

On se demande ce que pourrait donner le génie de Rémi s’il travaillait plus sérieusement à ses scripts.

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