Analyse du clip Karma Police Radiohead

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Analyse de clips (ou comment écrire un scénario de clip)
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Story&Drama analyse le clip de la chanson Karma Police de Radiohead, qui raconte une étrange course-poursuite au ralenti entre une voiture énigmatique et un piéton à bout de souffle.

Dans cette analyse nous utilisons les concepts de nos cours de scénario.

Analyse du clip Karma Police de Radiohead

Analyse narrative du clip de Karma Police de Radiohead

Radiohead - Karma Police

Résumé et analyse

00:00 L’habitacle luxueux d’une voiture : banquette avec coussins en velours bordeaux, molletonnés, carrosserie intérieure revêtue de cuir pourpre…

Monde : le clip s’ouvre sur ce lieu à la fois très familier, une voiture, mais aussi très étrange, car cette voiture a un aspect inhabituellement luxueux, presque baroque. On se situe donc à la fois dans le quotidien, et dans l’extraordinaire ?

Intertextualité : comme dans le clip de Rabbit In Your Headlights et d’autres clips de Radiohead, la voiture constitue un élément essentiel du drame, ce qui crée un univers très particulier.

00:07 La caméra pivote lentement sur son axe à l’intérieur de l’habitacle et s’oriente vers la route, obscure, car il fait nuit. Ce mouvement a révélé une étendue d’herbe sur la droite de la voiture : on est en pleine campagne, apparemment.

Point de vue : on ignore encore si l’image qu’on voit en tant que spectateur correspond à ce que voit un personnage (et si oui qui est-ce ?) ou à un narrateur désincarné et omniscient.

00:20 On entend que la portière s’ouvre puis se ferme, on le voit aussi indirectement du fait qu’une lumière s’est allumée puis éteinte à l’intérieur de l’habitacle.

00:28 Sur un coup de batterie qui lance le début des paroles, « Karma… Police… », les pleins phares s’allument, révélant une route de campagne totalement déserte. La voiture démarre et roule lentement.

Caractérisation : la série d’indices (bruits de portière, lumière de l’habitacle, puis allumage des phares) implique forcément qu’au moins une personne a pris place dans la voiture à la place du conducteur, et pourtant cette personne – qui va devenir un personnage actantiel – ne nous est pas montrée, ce qui génère une impression de mystère. C’est un effet d’asymétrie de distribution de l’information par refus d’informer le spectateur : ce personnage et les autres (l’homme qui sera l’Antagoniste, et Thom Yorke qui sera plus ou moins le Héros) savent qui est le conducteur et à quoi il ressemble, tandis que nous ne le saurons jamais.

Monde : on assiste donc à une révélation progressive du monde de l’intrigue, élément par élément, d’abord la voiture, puis le bord de la route, puis la route. La présence d’une voiture aussi stylée en rase campagne pose question, paraît anormale.

00:45 Un point blanc apparaît à l’horizon. Il se rapproche lentement.

00:57 On commence à distinguer qu’il s’agit d’un homme qui court, comme s’il fuyait la voiture, se retournant même pour lui jeter des coups d’œil. L’homme ne court pas très vite et il n’a vraiment pas le style d’un athlète.

Caractérisation : révélation très progressive de ce personnage, qui va devenir l’Antagoniste. Sa présence au milieu d’une route en rase campagne a l’air aussi mystérieuse que celle de la voiture qui le poursuit.

01: 07 Alors qu’on arrive à quelques mètres de lui, la caméra pivote en sens inverse du mouvement précédent, et nous ramène à la banquette arrière, sur laquelle on voit Thom Yorke, l’air effondré, déprimé, stone, qui prononce les paroles : « This is what you get, this is what you get, when you mess with us ». (Voilà ce qui t’arrive quand tu merdes avec nous.)

Point de vue et caractérisation : le mouvement de caméra reste inexplicable : qui peut regarder ainsi, depuis ce point et d’une manière aussi froidement mécanique ? Le conducteur ? Non, car le mouvement ne semble pas celui d’une tête humaine en vue subjective ou d’un cadreur qui filmerait caméra à l’épaule, mais celui d’un robot, or un robot ne peut pas conduire. De plus, que fait Thom Yorke à l’arrière de cette voiture, en position de simple spectateur, pourtant impliqué puisqu’il prononce ces paroles menaçantes qui semblent s’adresser au personnage de piéton qui commence à prendre l’allure d’un Antagoniste ? Là aussi, il reste impossible de répondre, ce qui engendre un désir latent d’en savoir plus de la part du spectateur.

Structure : même si rien n’est très clair, il semble qu’on ait déjà les éléments d’un drame, à savoir un Héros, un Antagoniste, et un conflit (certes peu explicite) entre les deux. Les paroles de Thom Yorke sonnent donc comme un déclencheur, même si on ne voit pas bien quelle sera la question dramatique, qui se précisera plus tard. Fin de l’Acte I.

01:36 La caméra pivote à nouveau et revient à la route. L’homme court toujours, assez lentement, et maladroitement, comme essoufflé et boiteux. La voiture le suit, exactement à la même allure – environ 10 kilomètres heure.

Structure : début de l’Acte II. Les forces s’équilibrent strictement. Il s’agit d’une sorte de course-poursuite… au ralenti. Cette lenteur ne s’explique pas non plus. Mystère encore !

01:56 La caméra pivote, retour à l’habitacle. Thom Yorke a posé sa tête sur la banquette avant. Il a toujours l’air très maussade. Il chante à nouveau le refrain : « This is what you get, this is what you get, when you mess with us ».

Structure : cette répétition pure et simple du déclencheur laisse stagner l’action, et la tension plane, irrésolue, sans perspectives.

02:26 La caméra revient à la route. L’homme court toujours. Un plan le montre de face : un homme de 40-50 ans, l’air fou, regardant droit devant lui, en plein effort. De derrière lui, les phares nous éblouissent.

Caractérisation : cette finalisation de la révélation progressive de l’Antagoniste nous montre un personnage mal en point, d’allure tout aussi faible que celle du Héros apathique. Là encore, les forces s’équilibrent.

02:50 Retour au plan qui montre l’homme vu depuis la voiture qui le suit. L’allure a ralenti. L’homme, à bout de souffle, se met au pas puis s’effondre à genoux au sol. La voiture s’arrête juste derrière lui, qui semble vaincu.

Structure : c’est la fin de l’Acte II et le tout début de la crise qui ouvre l’Acte III.

03:16 L’homme se relève et se retourne vers la voiture, comme pour combattre. La voiture entame une soudaine et puissante marche arrière avant de s’immobiliser à une vingtaine de mètres de l’homme, qui la regarde, comme s’il cherchait à comprendre les intentions du conducteur.

Structure : ce troublant face-à-face est caractéristique de la crise, on a l’intuition évidente que tout va se décider et se résoudre de manière imminente. Dans cette situation, la voiture, protégée, motorisée, a l’avantage face à l’homme, fragile et vulnérable.

Caractérisation : pourtant, les comportements des deux personnages restent très difficiles à lire, à comprendre, à interpréter. On ne sait toujours pas qui ils sont, pas plus qu’on ne connaît la raison de la fuite de l’un et de sa prise en chasse par l’autre. Leurs motivations restent totalement inconnues.

03:25 Un plan révèle une longue trace de liquide qui s’étend sur le sol depuis la voiture. De l’huile, de l’eau, de l’essence ?

Cet élément entame un spectaculaire renversement de situation : à cause de ce point faible de la voiture, le piéton Antagoniste va pouvoir reprendre l’avantage.

03:30 Plusieurs plans montrent l’homme, puis la voiture se faisant face.

03:35 Nerveusement, l’homme cadré de dos cherche quelque chose dans sa poche de pantalon, passe l’objet derrière son dos.

Structure : remarquez comment les éléments de résolution de la crise (début de l’Acte III) à l’initiative de l’Antagoniste nous sont donnés point par point, nous permettant d’envisager très rapidement un mini-scénario qui reste à confirmer. Cette manière de procéder présente l’avantage de stimuler notre imagination, tout en gardant la tension dramatique aussi intacte qu’intense.

03:42 C’est une boîte d’allumettes. Il semble avoir du mal à en allumer une. Il y parvient et la lance sur la trace de liquide sur la route, qui s’enflamme instantanément.

Structure : toute la tension dramatique accumulée peut enfin se résoudre dans ce climax fulgurant.

03:51 La voiture réagit immédiatement en reprenant une marche arrière furieuse. Mais la flamme est la plus rapide et en quelques secondes, elle envahit le pare-brise puis toute la voiture.

Structure : cette défense ratée du Héros parachève le climax et semble signer sa défaite.

04:10 La caméra pivote avec difficulté et revient à la banquette arrière, maintenant déserte. La musique s’éteint dans un bruit fatigué, comme celui d’une machine en bout de course.

Caractérisation : ce dernier mouvement de la caméra intérieure nous confirme finalement que ce point de vue n’était pas humain, sans qu’on puisse savoir de quoi ou de qui il s’agissait. Le mystère reste entier.

Structure : comme dans Rabbit In Your Headlights, cette réponse à la question dramatique n’est que partielle et ne permet pas de dire précisément qui a gagné et ce qui s’est passé. Les seules choses sûres, c’est que l’Antagoniste est pour l’instant hors de danger (sauf si par exemple Thom Yorke, ou son complice s’il en avait un, possède une arme et continue le combat après être sorti de la voiture), et que l’incertitude triomphe encore à la fin…

Synthèse

Une stratégie du manque d’information

Ce clip s’avère très simple : une seule intrigue, à peine deux personnages actantiels montrés à l’écran – le piéton poursuivi et Thom Yorke – et un personnage hors-champ, le conducteur. En théorie, cela pourrait difficilement faire un bon clip, et pourtant !

Alors, à quoi est due la magie de cette histoire ?

Précisément à la puissante série de lacunes, au manque généralisé d’informations claires et précises concernant les données dramatiques, au côté incompréhensible de l’action. Le spectateur va en permanence essayer de comprendre cette situation qui parait simple, voire simpliste, et échouer magistralement, éprouvant donc une sorte de frustration fascinante devant autant de complexité dissimulée.

En effet, toutes les informations essentielles font défaut :

  • Qui est le conducteur, et que veut-il ?
  • Quel rôle joue Thom Yorke, et que veut-il ? Est-il un personnage de fiction ou joue-t-il son propre rôle ?
  • Qui est le piéton et que veut-il ?
  • Les Héros veulent-ils tuer le piéton, ou simplement l’intimider, l’arrêter, le capturer ?
  • L’Antagoniste veut-il s’enfuir, ne pas être capturé, ou éliminer ses poursuivants ?
  • Pourquoi les Héros et l’Antagoniste sont-ils en conflit ?
  • Que font-ils tous sur cette route de campagne déserte, et comment sont-ils arrivés là ?
  • Que deviennent les personnages après la fin du clip ? Que deviennent le conducteur, Thom Yorke, et le piéton ? On peut imaginer qu’à deux (dont un homme jeune, Thom Yorke) contre un vieil homme, la lutte pourrait continuer en faveur des Héros, mais est-ce le cas ?
  • Pourquoi ne nous le raconte-t-on pas ?

Bref, nous ne pouvons savoir ni pourquoi on nous raconte cette histoire, ni ce qui se passe avant, pendant, et après. Et c’est justement ce mystère intégral qui constitue le message profond du clip, en harmonie avec les paroles souvent lacunaires mais fascinantes des chansons de Radiohead : l’être humain ne sait pas pourquoi il existe dans un monde incomplet et incompréhensible.

Cela avait l’air simple, mais c’est profond et cela nous touche dans nos pires doutes existentiels…

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