Coluche C’est l’histoire d’un mec – Analyse du sketch comique de l’humoriste

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Analyse de sketchs comiques
PDF, 140 pages
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Vous aussi, vous voulez faire rire les foules ?

Des plus grands auteurs comiques, apprenez à construire un délire logique, une situation super loufoque, une arnaque conceptuelle, des personnages tordants…

Et rendez vos histoires plus que drôles !

C’est l’histoire d’un mec de Coluche

C’est l’histoire d’un mec de Coluche est un des premiers sketchs écrits et joués par le comédien en solo dans les années 1970.

Comme on va le voir, il met en scène d’une manière hilarante et paradoxale un narrateur idiot, raciste et incompétent qui vient raconter une blague… pas drôle.

C’est l’histoire d’un mec…

Le thème est posé d’entrée : c’est l’histoire d’un mec qui raconte une blague banale !

Structure : exposition d’une intrigue. Le Héros est un mec, description on ne peut plus vague.

Vous la connaissez ? Non ? Oui ? Non, parce que sinon… parce que des fois y a des mecs… bon… ah oui… Parce que y a des mecs…

L’accumulation de pauses, qui caractérise ce sketch et le style de Coluche, laisse la narration trépigner sur place. Ce sera un élément essentiel du comique de ce sketch : parler sans cesse pour ne jamais rien dire.

Vous la connaissez ? Non, dites-le parce que quand les gens y la connaissent après on a l’air d’un con.

Vous la connaissez ? : Effet comique dû à l’ironie dramatique de la situation de communication entre le comédien et le public : le public est en fait en incapacité de répondre, il n’a pas de micro et il est trop nombreux et trop humble pour prendre la parole.

De plus la question est vide de sens : la blague, exposée d’une manière tellement vague, ne peut pas être identifiée. C’est une forme de fausse piste.

Alors là, le mec… Ah oui ! parce que y a des mecs des fois… Non, c’est un exemple… Oui, y’a des mecs… Alors, euh… Ça dépend des mecs, parce que y’a des mecs…

Fausse piste. Des reprises, des affirmations qui se contredisent aussitôt, Oui / Non / Oui / Alors euh, la blague stagne sans commencer et tourne déjà à la confusion totale.

Alors, bon, des fois, c’est l’histoire avec des bagnoles, tout ça… Et puis le mec ouiiiii, euuuuh… Mais là, non !

Digression, hors-sujet.

Ah oui ! Non là, c’est l’histoire d’un mec, mais un mec normal… Un Blanc quoi…

Et bam ! Comme le narrateur nous a endormis avec ses circonvolutions interminables, cette mention raciste qui définit le Héros comme Blanc (simple propriété thématique, inutile car sans aucun lien avec une action qui tarde à démarrer) nous prend par surprise et inaugure une longue digression raciste.

Ah oui, parce que dans les histoires, y’a deux genres de mecs… Ah oui…

Alors, t’as le genre de mec… « Oui, euh…. Moi, euh, euh… Oui, oui… », le mec, « Oui… » Et puis, t’as le genre de mec : « Non, non… » Alors, on leur dit, mais, des fois, on est obligés… Non, le mec non…

Personnage : ce passage où le narrateur prétend distinguer deux types de personnages de blagues ne fait que l’enfoncer dans la bêtise et le racisme le plus basique – il distingue des choses dont il n’a strictement rien à dire. Mine de rien, une telle stratégie d’explosion des clichés par la dénonciation de leur vacuité vaut tous les longs discours argumentés. Le message se décode facilement : le racisme est vide de sens, n’est qu’un délire d’idiot.

Et là, ce serait plutôt un mec « non », le mec…

Mais normal je veux dire… Pas un Juif…

Personnage : l’affirmation comme quoi le Héros est un mec normal, c’est-à-dire un Blanc, nous laissait attendre que le contraire, un mec pas normal, serait probablement un Noir, ou peut-être, dans les catégories du racisme français, un Arabe. Comme cette définition indirecte semble trop évidente, le narrateur nous surprend à nouveau en faisant du Juif le contraire du Blanc, révélant ses catégories mentales, racistes et bêtes.

Structure : on commence à bien voir que l’introduction C’est l’histoire d’un mec portait un double sens. Le mec qui raconte la blague de l’histoire d’un mec, est une blague à lui tout seul. L’histoire drôle que le public s’attendait à trouver dans la fiction, se passe en fait dans la réalité de la narration. D’une manière très intelligente, les niveaux d’interprétation sont renversés, la fiction est niée, et la réalité devient fictionnelle.

Ah oui, parce que y’a des histoires… Y’a deux genres d’histoires, ah oui…

Répétition, parallélisme, abus de logique : le narrateur goujat prétend continuer à penser, à distinguer deux types d’histoires drôles après avoir distingué deux types de personnages. Il fait de l’analyse de récit lui aussi, à sa manière 🙂

Du coup, dans ces errements logiques en digression, la blague reste toujours bloquée au point mort !

Y a des histoires, c’est plus rigolo quand c’est un Juif… Si on est… pas Juif… Ben oui, faut un minimum… Et puis y a les histoires, c’est plus rigolo quand c’est un Belge… Oui… Si on est… Suisse… Ou le contraire… Un Suisse, si on est Belge…

L’humour se voit décrit comme moquerie de l’autre. Implicitement, si donc le narrateur est raciste, pour que son histoire soit drôle il faut donc logiquement que le public soit non-raciste, voire antiraciste ! Et le tour est joué : l’auteur délivre un message antiraciste !

Parce que les Belges et les Suisses c’est les deux seules races qui se rendent pas compte qu’en fait c’est pareil, mais ils se gourent…

Maintenant que l’auteur, à travers le narrateur, nous a donné sa théorie de la réception de l’humour, on comprend bien que, le public étant français, il est censé trouver drôle toute blague contre des non-Français, au point de les assimiler abusivement les uns aux autres.

Personnage : la définition loufoque des Belges et des Suisses comme étant des races continue de caractériser le véritable Héros de cette histoire, le narrateur, comme un raciste basique et ignorant, qui confond les nationalités et ce qu’il appelle les races (une notion qui n’a pas d’autre existence concrète que dans l’esprit des racistes, aucune différence biologique ne pouvant être scientifiquement établie entre les humains, tous génétiquement compatibles et tous hybrides depuis toujours, en réalité).

En fait, j’exagère, c’est à cause de la distance qui les sépare, elle est pas énorme…

Mais oui… Mettons qu’on rencontre un vrai con en Suisse… C’est un Belge…

Mais dans l’ensemble ça valait pas le coup de faire deux pays rien que pour ça, hein ils auraient pu se débrouiller…

Le narrateur s’enfonce dans sa digression. On a quitté la narration, on est dans l’exposé brouillon d’un discours raciste absurde.

Enfin un Suisse… Moi je m’en moque… Je veux pas m’engueuler avec les gens, moi… Hein…

Personnage et psychologie : on a ici ce qu’on appelle du déni, une dénégation par son auteur d’un fait évident. Il semble mépriser tout le monde, et affirme pourtant qu’il ne veut pas s’engueuler avec les gens. Il révèle donc deux autres propriétés thématiques du personnage : l’inconsistance intellectuelle, et une certaine lâcheté.

Non, y’a quand même moins d’étrangers que de racistes en France…

On appelle ce type de phrase un aphorisme, figure de rhétorique qui énonce brièvement une pensée profonde, qui donne à réfléchir.

Non, je veux dire si j’ai le choix je préfère m’engueuler avec les moins nombreux…

Personnage : confirmation de la propriété thématique de lâcheté.

Enfin, un Suisse… Moi je m’en fous, hein, je suis ni Belge, ni Suisse, ni Juif… Je suis normal…

Personnage : cette affirmation résume l’idéologie du narrateur, qui identifie sa nationalité à la normalité, et fait donc abusivement de toute autre nationalité une anomalie.

Mais en tout cas, c’est pas un Noir… D’abord parce que y’a aucune raison pour que ce soit toujours les mêmes qui dérouillent…

Structure : nouvelle phase du développement du discours raciste, qui passe en revue les catégories de populations selon le narrateur.

Personnage : en faisant mine de prendre la défense des Noirs alors même qu’il les attaque, le narrateur révèle une nouvelle propriété thématique : l’hypocrisie.

Et puis, si c’est un Noir, c’est facile, un Noir… Mettons que y’ait… Bon… Parce que un Noir c’est…

Personnage : le narrateur a toujours autant de mal à délivrer un propos cohérent, il stagne, veut affirmer des idées générales mais n’en trouve pas, veut prendre des exemples mais n’en trouve pas, veut donner une définition mais n’en trouve pas, bref : cherchant à justifier l’injustifiable, il sonne creux, vain, vide, indigne d’être écouté. Sous des airs de blague innocente, tout ce sketch vaut comme pamphlet impitoyable et accumulation d’insultes implicites à l’égard de ce raciste typique. Le public est amené à le mépriser.

On les appelle comme ça exprès nous d’ailleurs, oui ben, ils le font pas méchamment la plupart…

Oui parce que nous on regarde les mains…. Tout ça, bon… Moins dedans… Mais si… Euh… Ah oui… Bon…

Et… Tout petits déjà… Et des fois, même leurs parents… Ah oui, pas tous, mais la plupart…

Enfin, un Suisse…

Personnage : on continue de développer l’absurdité de l’idéologie du narrateur, qui croit que la couleur de peau est quelque chose qui pourrait se « faire » exprès par méchanceté (contre-vérité inadmissible par le public), puis qui doute que cette propriété physique soit transmissible (doute absurde). Il pense donc systématiquement l’inverse de ce qui s’impose à l’esprit.

« Alors, le mec… »

Fin de cette longue digression discursive à propos de l’identité du mec en question, et retour inattendu au plan de la narration.

Ah oui parce que non, il y a quand même une histoire…

Petite blague méta-narrative, où par un éclair de génie ce crétin de personnage daigne se rappeler des promesses initiales de sa prise de parole.

Ah oui, non, c’est l’histoire d’un mec… Bon d’accord, si on veut, mais…

Fausse piste. Il semble sur le point de revenir en arrière dans le délire discursif, mais en fait non. Enfin, oui, euh… mais non !

« C’est l’histoire d’un mec qui est sur le pont de l’Alma… Et qui regarde dans l’eau, le mec… »

Structure : jusque là, on n’avait pu parcourir qu’un début excessivement vague d’exposition. Maintenant, cette exposition se voit précisée… de manière vague. On attend toujours qu’arrive un quelconque déclencheur, qu’il se passe enfin quelque chose…

Insoutenable suspense !

Monde : on sait donc maintenant et quand se situe l’action : sur le pont de l’Alma, à Paris, et donc probablement à l’époque contemporaine. Le problème, c’est que ces informations n’apportent strictement rien à la compréhension de l’intrigue, elles ne font que nous parasiter l’esprit.

Pas con le mec !!!!…

Personnage : évidemment, en trouvant qu’il n’est pas con de regarder dans l’eau, action qui ne présente aucun intérêt du point de vue du public, le narrateur se montre lui-même très con.

Ah oui, parce que c’est vrai j’y suis allé moi, et c’est vrai…

T’as des mecs ils passent tous les jours sur le pont de l’Alma et y regardent pas dans l’eau, les mecs…

T’as des mecs ils passent sur le pont de l’Alma… Eh bien… Y’aurait pas d’eau dessous… Ils passeraient quand même…

Et c’est con parce que nous on passe sur les ponts à cause qu’y a de l’eau dessous… Sans ça, tu parles, on irait pas faire un détour…

Structure : eh bien, le déclencheur tant attendu n’arrive toujours pas, l’exposition inintéressante fait l’objet d’une nouvelle digression tout aussi inintéressante, avec ce narrateur qui une fois de plus mélange réalité et fiction.

Alors les gens y disent : – « Ah ben, on sait pas où passe notre pognon »… Y regardent pas…

Mise en abyme, digression dans la digression. Cette expression de colère fiscale est un grand classique des discussions de comptoir… et situe le personnage, sociologiquement, dans le petit peuple des Français de base.

Alors là; le mec, y regarde tout ça et puis ça l’intéresse tout ça, bon…

« Au bout d’une demi-heure… »

Parce que normalement ça dure une demi-heure, mais moi j’abrège…

A nouveau, le narrateur confond le niveau de la fiction et le niveau de la narration (le fait de raconter la fiction), ce qui constitue un nouveau signe de bêtise aggravée.

« Mais moi j’abrège » : nouveau flagrant délit d’auto-contradiction du narrateur, qui vient de passer 10 minutes à ne rien raconter.

Parce qu’on va pas passer une demi-heure avec…

Au bout d’une demi-heure, y a un autre mec qui arrive…. Et qu’est-ce qu’il voit, le mec ?

Y voit un mec qui est là, et qui regarde dans l’eau… Hé…

Structure : ouf ! voilà enfin quelque chose qui ressemble à un début de déclencheur… la tension dramatique, le suspense accumulés, vont-ils enfin pouvoir se décharger ?

« Alors le mec… »

Parce que le mec, bon et puis l’autre, parce que, bon, et puis… Parce que maintenant y’a deux mecs…

L’accumulation bouffonne de liens logiques (alors, parce que) qui ne relient aucune idée et de connecteurs temporels (alors, et puis) qui ne connectent aucune étape de développement, exprime une nouvelle fois la disqualification totale du narrateur quand à raconter quoi que ce soit, au moment même où l’intrigue s’emballe.

Ah non, prenez des notes parce que je vais pas répéter…

Nouvelle contradiction (je vais pas répéter, alors qu’il se répète en permanence) et nouveau signe de bêtise (invitation à prendre des notes alors qu’il n’y a aucune information complexe à noter).

Alors le mec y s’approche et y dit : Hé, dites donc, qu’est ce que vous faites à regarder dans l’eau ?, hé, y dit le mec… au Suisse.

Personnage : cette nouvelle attribution de la propriété thématique du fait d’être Suisse au mec préalablement décrit comme normal c’est-à-dire Blanc, ce côté Blanc ayant été opposé par le narrateur à tous ceux qu’il considère comme des « non-Blancs », à savoir les Juifs, les Belges, les Suisses, et les Noirs, continue de nous embrouiller l’esprit d’une manière paradoxale : auto-contradiction avec pourtant une curieuse suite dans les idées et une sorte de justification a posteriori du pourquoi de la digression à propos des « races »…

Alors l’autre y lui dit : Ho ben, j’suis emmerdé parce que j’ai laissé tomber mes lunettes dans la Loire…

Structure : on entre véritablement dans la crise, c’est-à-dire le moment où l’action se fait la plus intense et s’apprête à se dénouer.
Une fois n’est pas coutume, ici la narration semble simple et dénuée d’absurdité et de paradoxe.

– Parce que le pont de l’Alma c’est sur la Seine… Ah, ça, si on sait pas, on comprend que dalle…

Personnage : nouvelle insistance sur la bêtise des croyances du narrateur, qui croit judicieux d’expliciter une évidence à son public.

Ouais ouais, à cet endroit-là, c’est la Seine… Oui, alors parce que…

« Le mec y lui dit : J’suis emmerdé parce que j’ai laissé tomber mes lunettes dans la Loire »…

Faut quand même pas prendre les Suisses que pour des cons… Non, y’a des Belges dans le tas…

Structure : à nouveau, un bref retour à la digression raciste, qui continue de la justifier paradoxalement et a posteriori, dans un savant désordre organisé.

« Alors l’autre y lui dit : Ho… hé… c’est pas la Loire, c’est la Seine !, hé ! »

– Elle est rigolote, hein… Non mais elle est pas finite là…

Structure : alors qu’en effet cette conclusion nulle a toutes les apparences d’un climax, d’une chute, ce que le commentaire du narrateur semble confirmer, on assiste à une nouvelle fausse piste, puisque le narrateur affirme que l’intrigue n’est pas finie. La blague a donc eu autant de mal à démarrer qu’elle en a à finir…

« Alors l’autre y lui dit… Parce que l’autre y lui dit… : C’est pas la Loire, c’est la Seine !… »

J’viens de le dire… Si vous suiviez un peu…

Pur effet de répétition comique qui rejoue la stagnation du récit, et reprise de l’effet d’adresse au public comme dans une des phrases du début du sketch : « Vous la connaissez ? Non, dites-le parce que quand les gens y la connaissent après on a l’air d’un con. »

Alors l’autre y lui dit : « Ho, ben vous savez, moi, sans mes lunettes… »

Structure : c’est donc enfin la vraie chute, le vrai climax de la blague racontée, et simultanément le vrai climax de l’histoire de sa narration par un narrateur très incompétent.

– Elle est rigolote, hein ?

Ce dernier commentaire d’allure naïve joue en fait avec malice sur un double plan : l’histoire rigolote, c’était en fait celle de Coluche parodiant un comique idiot, confus, raciste, hypocrite, bref : un mec banal, un français moyen.

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